LES LARMES AMÈRES DE PETRA VON KANT

Théâtre l’Œuvre
55 rue de Clichy
75009 Paris
01 44 53 88 88

Jusqu’au 29 mars
du mardi au samedi 21h00
les dimanches à 16h00

 

Les larmes amères de Petra Von Kant loupe

 

Il est un peu comme une mémoire, ce décor qui sature totalement la scène du théâtre de L’Œuvre. Des tapisseries dégringolent du plafond sur un aménagement indocile de meubles d’époques incertaines : un canapé, une table basse, un piano, un portant croulant sous les vêtements, un sofa en fond de scène, un frigo et partout des revues ouvertes, des verres et des bouteilles d’alcool neuves et entamées…  Un mélange hétéroclite vaguement anachronique avec la présence par instant des reflets des téléphones portables d’aujourd’hui parmi des objets datés années 70.

Rainer Werner Fassbinder avait tourné une version de cette histoire en 1972 dix ans après avoir écrit cette pièce pour le théâtre. Nous sommes chez Petra Von Kant, styliste de renom, et à ce titre, tyran domestique, autoritaire, égocentrique. Elle a quarante ans, elle est en crise, elle est à un moment charnière de son existence : elle a été mère, elle a été adulée pour son travail, elle se retrouve à ce moment de lassitude où la vie pèse trop, ou bien elle ne pèse pas assez, où l’avenir n’est plus très sûr. L’état de la pièce où va se dérouler l’histoire est la représentation exacte du désordre qui règne dans son âme, une sorte de no-futur. C’est l’image qu’on peut se faire de l’univers des créateurs écartelés entre le grouillement de la vie et l’idéal qu’ils portent, cette manière de plonger les mains dans la boue pour en extraire l’or qu’ils jetteront à la tête du monde.

C’est ce moment de doute ressenti par Petra, et l’approche de sa quarantième année, que choisit le destin pour la faire tomber amoureuse d’une femme beaucoup plus jeune qu’elle. Une femme qui sera bientôt sa muse et le modèle emblème de sa marque.

La mise en scène de Thierry de Peretti plonge toute la salle du Théâtre de l’Œuvre dans l’appartement Petra. La circulation et le jeu des actrices se fait dans tout l’espace. Le public fait partie intégrante de ce capharnaüm créatif où jaillissent la violence et la passion.

Valeria Bruni Tedeschi qui incarne le rôle titre est d’une vérité troublante : sa voix fêlée, son allure de chat écorché transpire du désir et du mal de vivre que son personnage porte tout au long du spectacle. Elle est, dans l’univers hypocrite et snob qui l’entoure, celle qui clame sa vérité, même si cette vérité fait des vagues dans l’ordre de sa vie. Mais au-delà de cette part affranchie, il est aussi question ici du despotisme que la position de célébrité engendre.

En permanence sur scène et dans un rôle totalement muet, la secrétaire de Petra von Kant est là. Incarnée par Lolita Chammah, qui démontre dans ce personnage une force de présence prodigieuse, elle est le souffre-douleur soumis de la styliste mais elle est aussi le son révélateur. Elle attire les regards pour que l’on décrypte l’émotion qu’elle provoque.

Les autres rôles de la pièce qui ne comporte que des personnages féminins, sont légèrement en retrait par rapport à ces deux comédiennes.

Mais il y a dans cette pièce tout l’esprit de provocation de Fassbinder, et le bonheur de plonger dans un univers chaotique qui représente bien l’univers mental d’un être épris de création et enfermé dans un monde sans pureté et un corps sans apaisement. Un spectacle qu’il est facile de ne pas oublier.

Bruno Fougniès

 

Les larmes amères de Petra Von Kant loupe

 

Les larmes amères de Petra Von Kant

Texte de Rainer Werner Fassbinder
Texte français de Mathieu Bertholet
Mise en scène Thierry de Peretti
Assisté de Benjamin Charlery
Décor Rudy Sabounghi
Costumes Caroline de Vivaise
Lumières Jean-Luc Chamonat
Son Sylvain Jacques

Avec : Valeria Bruni Tedeschi, Kate Moran, Zoé Schellenberg, Sigrid Bouaziz, Lolita Chammah et Marina Borini ou Nadine Darmon

 

Mis en ligne le 4 mars 2015

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