Dominique BLANC lit « LES ANNÉES » d’Annie ERNAUX

Théâtre de l’Atelier
1 place Charles Dullin
75018 Paris
01  46 06 49 24

Jusqu’au 15 février à 19h00
Dimanche à 18h00

 

Dominique Blanc loupePhoto : © Marcel Hartmann/ contour by Getty Images

Voilà donc une table en bois, assez longue, ancienne, usée, et dessus, un verre d’eau et une petite flamme qui brûle dans un photophore. Le tout posé sur le parquet lustré de la scène du Théâtre de l’Atelier. Derrière la table, une chaise. Ce décor simple, authentique baigne dans une lumière chaude qui laisse le reste du plateau dans l’ombre progressive.

C’est sous le signe de cette authenticité, de cette proximité, de cette intimité que Dominique Blanc va commencer sa lecture. Un terme impropre pour qualifier le spectacle qui se déroule ici chaque soir. De lecture, il y a la forme, mais il se crée quelque chose d’autre dans l’espace entre le don d’un texte et l’écoute d’un texte, entre le plateau et la salle. Quelque chose de l’ordre d’une représentation théâtrale dénuée des artifices apparents de la représentation : décor, mise en scène, effets visuels ou sonores. Un formidable retour aux origines, au texte et à l’envol des mots et des images.

On est ici dans le domaine de la rencontre, une double rencontre : en amont, la rencontre entre Dominique Blanc et un texte, (et en réalité, la rencontre avec Annie Ernaux et un travail conjoint), suivi de la rencontre avec le public.

Simplicité est le mot qui vient immédiatement aux lèvres. Simplicité et humilité de Dominique Blanc qui prête sa voix, sa sensibilité et son métier pour donner à entendre les paroles d’Annie Ernaux sans effets de manche ni de voix, ni étalage d’émotion, ni éclats. Et pourtant, aucun mot ne pourrait prendre de sens sans l’implication gigantesque qu’y met Dominique Blanc. Nous sommes en vérité à l’opposé d’une lecture à plat et à l’opposé d’une lecture trop incarnée. Dans un espace indéterminé, un entre deux, et dans un temps lui aussi irréel.

« Les Années », le livre d’Annie Ernaux, est un voyage à travers les époques. Mêlant petites histoires à l’Histoire, mesurant à chaque décennie l’impact des bouleversements de l’actualité sur les existences ordinaires, sur les cerveaux ordinaires, et le progrès en marche sur la tête des gens.

L’autrice suit ainsi un fil chronologique de l’après guerre jusqu’au début du vingt-et-unième siècle. Elle bondit d’un temps à l’autre en sautant d’images en images, de photos de famille en photos d’actualité. La colonne vertébrale de cette histoire s’articule autour des réunions de famille, et des repas, des naissances et des séparations, des enfants qui grandissent, des liens qui se dématérialisent et finissent par n’être qu’une habitude creuse, des autorités qui s’inversent entre parents et enfants lorsque ceux-ci deviennent adultes. On assiste ainsi à une sorte de panorama de l’évolution de notre société doublée en pointillée de l’histoire d’une famille, et d’une femme en particulier, qu’en une heure de temps on voit vieillir, et pourtant, rester sans cesse un peu plus elle-même face à un monde qui lui, n’est plus lui-même.

On a alors l’impression étrange d’une inversion de ce que l’on pourrait croire : le plus solide, la plus grande permanence est dans l’individu, la conscience, la mémoire, pas dans la réalité extérieure.

Annie Ernaux écrit avec une fausse objectivité cette histoire à l’aide de phrases qui paraissent familières mais qui recèlent une fluidité, un rythme et une douce et tendre ironie très vivifiante. On est plongé dans le souvenir, le miroir qui se déploie devant nous et le partage.

C’est un pari gagné que de présenter cette lecture comme un vrai moment théâtral.

À venir avec le même principe : Jean-François Balmer lit Régis Debray du 17 février au 1er mars puis Sami Frey lit Jean-Paul Sartre du 03 au 15 mars.

Bruno Fougniès

 

Textes d’Annie Ernaux

Avec Dominique Blanc

 

Mis en ligne le 13 février 2015