LE SOURIRE DE LA MORTE

L'Étoile Du Nord
16 Rue Georgette Agutte
75018 Paris
01 42 26 47 47
Jusqu'au 9 février 2013

C'est avec plaisir que j'ai retrouvé après avoir vu le Boxeur (voir critique sur Regarts) à Avignon la compagnie Troupuscule Théâtre venu présenter à Paris sa nouvelle production : Le sourire de la morte.

Louis Santerre (Ludovic Chasseuil) est incarcéré pour le meurtre présumé d'Emilie Lafontaine (Caroline Stella). Cinq ans après le drame, Jeanne Lafontaine (Perrine Demartres), professeur de lettres, se rend en prison pour affronter le psychopathe qui aurait tué sa cadette et sur lequel elle veut écrire un livre. Elle veut aussi comprendre pourquoi le visage de la morte souriait, alors qu'elle ne souriait jamais dans la vie. Jeanne apprend qu'Émilie, atteinte de maladie mentale, s'était échappée d'un hôpital psychiatrique et avait trouvé refuge chez Louis. Entre dénonciations judiciaires et psychanalyse, les langues se délient enfin et commence alors un jeu dangereux de vérité et de faux semblant. Tous les deux avec Sarto (Thériault Paul Tilmont), l'avocat médiateur tendancieux finiront d'éclairer ces instants plombés. Comme des ronces qui dénouent délicatement l'ambigüité férocement enfouie de ces êtres.

C'est une pièce Inédite en France d'un auteur québécois, André Ducharme, qu'il a écrite suite à une rencontre : trois détenus ayant manifesté le désir de recevoir des cours de rédaction, il a été choisi par la direction de l'université du Québec où il enseignait justement cette matière, pour leur dispenser ces cours en prison au quartier de sécurité maximale. Il a découvert là des hommes qui à cause de l'enfermement et du confinement avaient développé un imaginaire extraordinaire.
Cette phrase prononcé par l'un deux a tout déclenché :

« Moi je me suis toujours défendu avec les poings et j'ai eu envie en étudiant d'apprendre à me défendre avec les mots »

Il précise que par contre tout est pure fiction et que l'histoire racontée n'a aucun lien avec ces trois hommes.

L'auteur, présent ce soir, se déclare émerveillé parce ce que toute l'équipe met en valeur. Il nous confiera que Mariana Lézin qui en signe la mise en scène, a su créer tous les liens avec les personnages : « Ça m'a fait comprendre que ma pièce est torturée alors qu'à l'écriture j'y voyais de la légèreté.»

Il ajoutera avoir redécouvert son texte ,affirmant que Mariana a su aller plus loin en révélant sa dimension poétique, éliminant certains défauts (peut être trop d'ellipses mais je pense que son écriture fait entendre ce déchirement par la structure et le style de sa grande dimension poétique : monologues dialogues délirants avec ellipses temporelles pour dire les contradictions de l'individu dans le monde).

Pour Mariana cette pièce est un coup de coeur, la prison n'est qu‘un début, une facette du grand éventail de sujets abordés par cette œuvre, construite écrit- elle « comme un thriller révélant les travers de l'humain en questionnant le système carcéral et la place de la différence dans notre société. C'est une pièce sur les fracas de l'enfance, sur la culpabilité, sur la responsabilité. Une pièce presque cinématographique qui nous plonge dans la complexité d'un présumé tueur en série.

Une dénonciation du mode de pensée social et de réflexion cloisonnée.

C'est une pièce ambiguë car ses personnages le sont, ils ont tous une part de duplicité, avec leurs travers, leur perversité et leur faiblesse. Nous sommes ni bons ni mauvais, pas pleinement. Nous sommes simplement la complexité de l'Être.»

Un peu comme dans « Le boxeur » on identifie les personnages à un animal blessé par les horreurs subies dans leur enfance, mais ils sont plus déshumanisés, moins accessibles, plus sauvages, effrayants.

Maladie mentale ,jalousie, fracas de l'enfance, comment peut on se rendre fort quant il vous arrive l'un ou l'autre, comment grandir avec tout ce qui nous arrive ? est ce qu'on choisit ce que l'on fait ? est on tributaire du choix des autres ? comment se battre avec les choix que l'on a fait ??? ce ne sont que quelques-unes des questions que posent la pièce.

Complexe, je le confirme, vous en ressortirez probablement interloqué et peut être frustré de n'avoir pas tout compris car le texte est riche et profond, provoquant en vous une envie soudaine ou progressive de revenir pour essayer de répondre à vos interrogations non assouvies et également parce que vous avez été séduit par la qualité indéniable des interprètes et de la scénographie.

Ou alors… par masochisme ?(ne sommes nous pas complexes nous aussi ?)

En effet vous allez tout de même pénétrer dans une sorte no man's land pourtant habité mais par des êtres torturés qui vous glaceront le sang pendant presque deux heures, ambiance thriller garantie (vous vous souvenez d'Hannibal Lecter le film, j'y ai pensé par moment)

Dès votre entrée dans la salle vous faites face à un plateau blanc, une chaise blanche plein centre et au fond un écran géant 16/9 blanc bien évidement. Et le théâtre s'appelle « l'Étoile du nord» un drôle de hasard !... Brrr tout ça ne vous réchauffe pas.

Rien n'étant gratuit, c'est un décor parfait pour nous laisser imaginer : que ce soit le parloir d'une cellule qui ouvre le bal ,la ville, la forêt où se trouve la cabane de Louis où s'égare Émilie, tous ces lieux nous seront suggérés par les effets de lumières projetées au sol et sur l'écran mais attention pas d'images du quotidien, Mariana Lézin aime travailler sur l'onirisme qui laisse au spectateur une imagination libre guidée par ce qu'il ressent. (dans cette forêt personnellement j'ai eu des visions d'univers à la Tim Burton ),la vidéo est pour Mariana un outil sensitif qui permet de traiter la représentationà travers des images non figuratives.

Au sol sera également représenté l'état intérieur des personnages et sur l'écran vidéo leur monde réel, brut, sans fard.

Tout cela est enrichi d'une musique qui tout comme la vidéo résulte d'un travail effectué en amont avec les comédiens et Mariana, ce n'est pas une bande ou un dvd, tout est envoyé en direct en parfaite osmose avec les personnages suivant le rythme de la représentation, différent chaque soir, comme le ferait un chef d'orchestre.

Ces deux personnages en marge, monstrueux, se rencontrent et sont comme nous même dépassés par leur histoire d'amour, aimantés l'un à l'autre, Émilie déjà morte retrouve le sourire auprès de Louis, mais peut -être n'est elle qu'un fantôme, une pure invention reflétant le vécu de Louis quant elle est avec lui et celui de sa soeur Jeanne quant elle est avec elle. Un vécu filtrés par eux, n'étant donc pas forcément toujours la vérité. Est-elle leur fantasme ?

Cette pièce est dure ,violente, pendant presque deux heures, elle ne nous laisse pas le temps de nous laisser aller à l'émotion, on se sent enfermé mais dans un cadre où notre imagination est continuellement sollicitée. Comme le dit l'auteur, dans le confinement ,l'enfermement et même à l'extérieur, libre, on peut se sentir enfermé ,mais dans l'enfermement on peut se découvrir des passions, c'est arrivé à beaucoup de prisonniers (pour la peinture, l'écriture voire la religion etc...).

En tout cas, un grand bravo général à toute l'équipe sans distinction qui avec son talent contribue à donner vie et sens au sourire de la morte.

 

Didier Clusel

 

 

Le sourire de la morte

D'André Ducharme
Mise en scène : Mariana Lézin

Avec :
Louis Santerre : Ludovic Chasseuil
Jeanne Lafontaine : Perrine Demartres
Emilie Lafontaine : Caroline Stella
Sarto : Thériault Paul Tilmont

Voix off : Franck Micque
Musique : Benjamin Civil
Vidéos : Grégoire Gorbatchevsky
Costumes : Mariana Lézin
Lumières : Mikaël Oliviero
Scénographie : Mariana Lézin, Mikaël Oliviero, Grégoire Gorbatchevsky

 

Version imprimable (PDF)