LE MOCHE

Théâtre de l’Atalante
10 place Charles Dullin
75018 Paris
01 46 06 11 90

Jusqu’au dimanche 29 janvier 2017
Les lundis, mercredis et vendredis à 20h30
Les jeudis et samedis à 19h00
Les dimanches à 17h00

 

Le Moche loupe Photo © Guillaume Perret

Hé ! Les gens ! Réveillez-vous ! Vous tous, citoyens, individus à parts entières conscients de leurs droits sur terre, de leur libre-arbitre, leur liberté, de leurs choix de vie et de pensée, les bienheureux du monde technologique moderne… ce monde ultra réaliste qui vous apportera le bonheur, promis juré craché ! Réveillez-vous !

L’auteur Marius von Mayenburg balance ses personnages sur scène comme un lanceur d’alerte. Mises en situation minimales pour créer les scènes de cette machine à broyer les esprits que tente de pointer du verbe le jeune auteur allemand, attaché à la Schaubuhne de Berlin depuis que Thomas Ostermeier la dirige. Sa cible ? L’uniformisation de nos sociétés. Mais pas seulement.  Il vise aussi le culte de la beauté, de la superficialité, voire de la virtualité qui plafonne les sentiments et les émotions au nécessaire et à l’immédiat.

La force de cette pièce est qu’elle est intégralement construite du point de vue du personnage principal nommé Lette – héros, victime, les deux ? – Pas de place – ô joie ! – pour le documentaire, l’hyper réalisme ou autre théâtre jaloux du pouvoir des medias. Ici, on n’explique pas les humains, on tente de les voir vivre par le prisme de l’œil, et pas celui de la webcam, mais celui d’un individu en particulier. Un univers qui peut faire penser à celui de Kafka et une trame qui rappelle par certains côtés Faust. Ici, Lette signe une sorte de pacte diabolique avec un chirurgien esthétique pour acquérir une beauté qui lui manque tant.

On est juste à la lisière de la tragédie et de la farce. Sur ce fil invisible marche ce personnage qui nous entraîne à sa suite entre vertige hallucinatoire et réalité brute comme l’asphalte.

Le choix de Nathalie Sandoz pour cette mise en scène a été d’imaginer un dispositif très élaboré de tournettes et de panneaux translucides (qui permettent aussi les projections vidéos) et de différents niveaux de jeu, tout ceci dans un matériau blanc, brillant, clinique, sans une once de nature, de vie… une scénographie de Neda Loncarevic faite de matières, toutes artificielles, de celles qui sombreront directement de l’existence à la destruction sans connaître un vieillissement pour lequel elles ne sont pas conçue… des lignes strictes, géométriques et des à-plats industriels,  plastiques, métaux, qui rendent à la fois l’idée de l’indestructible, rigide, mécanique et l’absence du bouillonnement, du désordre dont la vie ne peut se passer.

Le grand ordre dominateur de ce décor enferme tous les protagonistes. Il est également l’univers clos, rond de l’esprit de Lette, enfermé dans un corps, dans un visage qu’il ne voit pas.

Grâce à cet enfermement de l’espace, Nathalie Sandoz rend encore plus parlant le point de vue du personnage principal, cette lorgnette essentielle qui déforme la réalité pour mieux en rendre compte. Toute la part visionnaire tient dans ce choix.

Quant à la distribution, ce sont trois comédiens et une comédienne aguerris et talentueux. Dans cette valse inquiétante des apparences, différents personnages portent le même visage, interchangeable. Et c’est une troublante impression d’halluciner qui se propage soudain du plateau à la salle, une force qui soudain pousse l’imaginaire à voir ce que le texte évoque. Et ceci n’est possible que grâce aux interprètes capables d’incarner plusieurs rôles sans autres artifices qu’une conscience différente du personnage et une manière d’être particulière à chacun, à peine esquissée, mais suffisante surtout dans cette petite salle où la proximité avec les interprètes fait tout partager aux spectateurs : le moindre souffle, le plus petit tremblement ou un simple déplacement dans l’espace. Ces toutes petites choses qui sont de l’ordre du sensible, du vrai, du vivant bien étrangères au paraître que dénonce avec humour et cruauté toute la pièce.

« Le fait que nous soyons devenus interchangeables sont des données révoltantes de notre société. Faire du théâtre, c’est forcément s’opposer à cette volonté d’uniformiser le monde » Marius von Mayenburg

Bruno Fougniès

 

Le Moche

Mise en scène : Nathalie Sandoz

Scénographie : Neda Loncarevic
Lumières et vidéo : Philippe Maeder
Univers sonore : Cédric Liardet
Costumes : Diane Grosset
Maquillages : Nathalie Mouschnino
Médiation : Carine Baillod
Régie technique : Julien Dick
Diffusion : Julie Visinand

Avec : Nathalie Jeannet, Guillaume Marquet, Gilles Tschudi et Raphaël Tschudi

 

Mis en ligne le 5 janvier 2017