LA RÉSISTIBLE ASCENSION D’ARTURO UI

La Comédie-Française
Salle Richelieu
place Colette
75001 - Paris
08 25 10 16 80

Jusqu’au 30 juin 2017
spectacle en alternance, voir sur le site de la Comédie Française.

 

La Résistible Ascension d'Arturo Ui loupe Photo AFP/François Guillot

La Résistible Ascension d’Arturo Ui raconte les intrigues d’un gangster d’un Chicago imaginaire pour prendre le pouvoir sur la ville, les forces économiques et les dirigeants politiques.

C’est la crise. Le trust du chou-fleur perd des sous. Il demande au maire des subventions en vain. La crise touche aussi la pègre incarnée par Arturo Ui, chef de bande, raquetteur, assassin etc. Celui-ci découvre que le maire, le vieil Hindsborough, s’est compromis dans le passé, corrompu par le trust… alors chantage, main basse sur la mairie et les fonds publics, contrôle du trust du chou-fleur, puis meurtres et trahisons consolident le pouvoir du patron de la pègre, sorti de l’ombre pour s'afficher chez les notables, les dirigeants, et devenir le guide haranguant les foules et menaçant les villes voisines dans une démence expansionniste qui le pousse à convoiter toujours plus grand, toujours plus loin.

Bertold Brecht construit son histoire en s’inspirant des actions les plus marquantes de l’accession au pouvoir absolu d’Adolf Hitler et de l’Allemagne nazi, et pourtant, cette pièce n’a rien d’une tragédie cimentée par la gravité. C’est une farce, une farce historique, un cabaret du grotesque qui met en scène les filandreuses manipulations de la politique, de l’économie.

La mise en scène de KatharinaThalbach, qui connaît l’œuvre de Brecht mieux que quiconque puisqu’elle fut enfant de la troupe du Berliner Ensemble, réinsuffle un sang neuf à l’œuvre de Bertold Brecht en revenant paradoxalement à la genèse de ce théâtre : un théâtre populaire de haute volée capable de jeter les paillettes du cabaret en guise de sciure sur le sang versé par le drame. Un ton unique qui soulage l’horreur par le rire. Tout devient alors théâtre, jeu, expression.

On retrouve ainsi la force et l’inventivité du magnifique texte de cette pièce qui se met soudain à parler de façon limpide, tout s’éclaire, et tout semble se référer au chaos actuel où le monde de l’économie, le monde des intermédiaires de tous horizons et le monde politique partent ensemble en vacances dans les îles paradisiaques pour dévorer la planète et le reste de l'humanité avec un appétit d’ogre.

La troupe de la Comédie Française réalise là une performance magnifique tant dans le jeu que dans la dynamique physique que demande un décor verticale avec une toile d’araignée géante faite de câbles et un sol  aux inclinaisons variables qui découvre des trappes dans un plan de la ville.

En chef de file, Laurent Stocker dans le rôle titre crée un Arturo Il qui est le clone démoniaque du dictateur de Chaplin et du véritable Hitler. Le visage peint en blanc, la moustache, la mèche, les contorsions involontaires rendent son personnage terriblement clownesque et totalement dangereux. La scène avec Michel Vuillermoz (qui, dans le rôle du comédien, lui enseigne la diction, l’attitude et la démarche) est un joyau. Le reste de la distribution est à l’avenant.

Ce n’est certainement pas un hasard si cette pièce entre maintenant au répertoire de la Comédie Française, et il ne faudra pas s’étonner de voir d’autres productions de cet auteur proliférer dans les mois et les années qui viennent. L’époque de crise, de guerre, de nationalisme des années 30 ressemble par beaucoup de facettes à celle que nous vivons. Et les vociférations, les menaces et les abus de pouvoir d’un Erdogan en Turquie (par exemple) sont des échos presque parfaits de ceux qu’Arturo Ui réalise dans la pièce.

Il reste à la troupe du français encore quelques représentations à franchir pour atteindre cette pleine assurance dans sa dynamique qui fera de ce spectacle un véritable cri d'alarme contre tous les diktats et les risques de guerre qui se multiplient.

C’est sans doute pourquoi un frisson étrange traverse les nuques des spectateurs juste avant que les applaudissements rappellent tous les interprètes de la pièce au plateau, quand le personnage qui était venu jouer les prologues revient avec cet avertissement final : « Le ventre est encore fécond d'où a surgi la bête immonde",

Bruno Fougniès

 

La Résistible Ascension d'Arturo Ui

Texte de Bertold Brecht
Traduction : Hélène Mauler et René Zahnd
Mise en scène : KatharinaThalbach
Scénographie et costumes : EzioToffolutti
Lumières : François Thouret
Travail chorégraphique : GlysleïnLefever
Son : Jean-Luc Ristord
Arrangements musicaux : Vincent Leterme
Collaboration artistique : Léonidas Strapatsakis
Assistanat à la mise en scène : Ruth Orthmann
Masques réalisés par Valérie Lesort

Avec :
Thierry Hancisse, Éric Génovèse, Bruno Raffaelli, Florence, Jérôme Pouly, Laurent Stocker, Michel Vuillermoz, Serge Bagdassarian, Bakary Sangaré, Nicolas Lormeau, Jérémy Lopez, Nâzim Boudjenah, Elliot Jenicot, Julien Frison

Comédiens de l'Académie :
Tristan Cottin, Pierre Ostoya Magnin, Marina Cappe, Ji Su Jeong, Axel Mandron, Amaranta Kun

 

 

Mis en ligne le 7 avril 2017