LA IMAGINACIÓN DEL FUTURO

Théâtre Jean Vilar
1 place Jean-Vilar
94400 Vitry-sur-Seine
01 55 53 10 60

Le 22 novembre 2014

Reprise au Théâtre des Abbesses à Paris du 3 au 11 décembre 2014.

 

La imaginación del futuro

 

Du théâtre qui ose. Du théâtre qui pose des questions. Qui bouscule, dérange, chamboule. Impossible de parler de cette pièce sans évoquer les articles particulièrement virulents parus dans la presse lorsqu'elle a été présentée à Avignon cet été. D'aucuns ont même été jusqu’à parler de « révisionnisme » ou « négationnisme ». Mais pourquoi le terrain est-il si glissant ?

Marco Layera, metteur en scène de la compagnie, La Re-Sentida (« Le ressentiment ») livre une version fictive du dernier jour du président chilien Salvador Allende, le 11 septembre 1973, juste avant son suicide au sein du palais de la Moneda, au moment où celui-ci se faisait bombarder par les forces armées du général Pinochet, qui allait plonger le Chili dans une dictature de seize ans.

Le président Allende (Rodolfo Pulgar) apparaît dans cette pièce la plupart du temps comme une marionnette manipulée par une équipe de ministres spécialistes en communication. C'est un « work in progress », une forme que semble affectionner Layera : les personnages sont en train de faire répéter au président son dernier discours. Ainsi, nous assistons à plusieurs versions de celui-ci. Trop de dramatisme, trop de rouge, trop de théâtralité, une musique inadéquate... le tout orchestré par des ministres dopés au Coca-Light, travaillant sur des ordinateurs Mac et reprochant à l'un ou à l'autre de passer trop de temps sur Facebook.

Ces exemples sont la parfaite illustration de l'intention de Marco Layera : il ne s'agit pas de livrer aux spectateurs une biographie ou un documentaire sur Salvador Allende. Il s'agit plutôt, me semble-t-il, de nous secouer, de nous faire nous interroger sur la réutilisation – galvaudée – des icones mythiques de la gauche. C'est ce Chili actuel gouverné par la gauche et pourtant si divisé économiquement et socialement, où la répression contre le peuple mapuche continue, qui indigne Layera. Le parallèle pourrait peut-être être fait avec Ernesto Che Guevara, dont le portrait apparaît d'ailleurs au cours de la pièce : n'est-il pas aujourd'hui une icône marketing ? Notre société n'est-elle pas trop souvent indigne des valeurs portées par ces grandes figures ? Ainsi, c'est davantage une pièce sur le monde actuel que sur le coup d'état de 1973.

Quand on met en place toutes sortes d'artifices pour le discours du président, quand on lui demande d'être « cool », on ne parle pas d'Allende, mais on dénonce une société dans laquelle les médias, l'image joue un rôle politique crucial. Quand on ironise sur la place du ministre de la culture dans un gouvernement, la critique est de nouveau contemporaine. Quand on personnifie une balle perdue – là encore, une création originale et efficace –, on dénonce avec cynisme les violences policières, surtout lorsque le fonctionnaire de police est affublé d'un masque de singe. Quand on montre une mère éplorée à la caméra, ce sont le sentimentalisme et le voyeurisme en l'occurrence hyper-contemporains qui sont passés au crible. Bref, ce sont les valeurs que véhicule le néo-libéralisme, victorieux dans tous les recoins du monde actuel, qui sont pointées et dénoncées.

Quant à la mise en scène, elle très chorégraphiée. C'est énergique, ça crie, ça se bat. Les acteurs donnent vraiment de leur personne et font preuve d'une énergie débordante, comme c'était le cas dans Tratando de hacer una obra que cambie el mundo déjà jouée à Montreuil cet automne.

Certains trouvent que la figure d'Allende est maltraitée, salie, niée. En effet, il apparaît comme un vieillard tantôt mutique tantôt surexcité (le coup de fil au président des États-Unis est un moment savoureux), un consommateur de cocaïne, un dormeur invétéré. Sa sieste est d'ailleurs prétexte à un happening haut en couleur où le public est mis à contribution. Ce moment précis peut choquer par son inconformisme mais en tout cas le théâtre de Layera fait parler de lui et suscite le débat. Saluons d'ailleurs l'initiative du théâtre Jean Vilar qui a choisi, sans doute en raison des critiques évoquées, d'encadrer l'œuvre par une présentation de la pièce et un débat à son issue. Les voix se sont élevées, les avis étaient pour le moins disparates. Utiliser les personnages historiques et faire fiction est apparu délicat mais n'est-ce pas du ressort de l'artiste de jouer avec les représentations pour en faire tout autre chose ? Je ne crois pas que le propos soit de s'en prendre à Allende. Pour ceux qui voudraient connaître réellement qui il était, ce n'est pas cette pièce qu'il faut voir, c'est évident, et Layera n'a absolument pas cette prétention. En revanche, si on accepte d'être chamboulé, c'est une expérience totale qui donne au théâtre un réel pouvoir.

Ivanne Galant

 

La imaginación del futuro

Compagnie La Re-sentida
Mise en scène : Marco Layera

Avec : Diego Acuña, Benjamín Cortés, Carolina de la Maza, Ignacio Fuica, Pedro Muñoz, Carolina Palacios, Rodolfo Pulgar, Sebastián Squella, Benjamín Westfall.

Assistant à la mise en scène : Nicolás Herrera
Scénographie : Pablo de la Fuente
Vidéo : Karl-Heinz Sateler
Musique : Marcello Martínez

 

Mis en ligne le 24 novembre 2014

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