L’AVALEUR

Maison des métallos
94 Rue Jean-Pierre Timbaud
75011 Paris
01 48 05 88 27

Jusqu’au 18 février
Du mardi au vendredi à 20h00
samedi à 19h00, dimanche à 16h00

 

L’Avaleur loupe Crédit photo © Jean-Christophe Bardot

La pièce de Jerry Sterner, adaptée par Évelyne Loew, raconte la prise de pouvoir hostile d’une entreprise financière sur une entreprise industrielle et son démantèlement – la bourse suçant les forces et les richesses du travail. C’est l’histoire d’une destruction, d’une mort, du dépeçage d’un outil de production familiale pour en extraire un profit immédiat, sans aucun état d’âme de la part du financier qui déclenche cette opération.

Le thème peut paraître âpre et technique au préalable, mais l’écriture, les personnages et la mise en scène de Robin Renucci le rendent vivant et épique.

La scène est séparée virtuellement en deux : à gauche, les bureaux de la direction de l’entreprise qui va se faire dévorer, (une société capitaliste du genre patriarcale, implantée dans cette adaptation dans la région du Havre) de l’autre, les bureaux high-tech du raider situés dans la city de Londres (les raiders, traduction "pilleurs", sont des traders spécialistes dans les OPA hostiles) symbolisés par un écran / fenêtre dominant la cité et par-delà, la planète entière.

Le jeu se place frontalement vis-à-vis du public, pris à partie dès les premières minutes en tant qu’interlocuteur, puis témoin puis, plus tard, participant même aux dernières manœuvres qui sonnent le glas de l’entreprise. Un des buts de cette mise en scène est d’impliquer le public dans le débat.

Se déroule alors la lutte entre un ancien ordre et un nouveau monde. Une lutte à mort, comme on l’a compris entre les forces du travail (le patron historique, sa secrétaire, son PDG) et le raider (l’Avaleur) qui peu à peu prend le pouvoir en rachetant le maximum d’actions. Mais au-delà de cette mécanique économique qui joue au yoyo avec le monde depuis une vingtaine d’années, parfaitement bien illustrée ici, c’est la part humaine, sensible et les faiblesses des uns et des autres qui y sont développés, sans manichéisme mais avec une dérision qui va parfois jusqu’au loufoque.

D’un côté un patron à l’ancienne, croyant dur comme fer qu’il est un ange de bonté et qu’il apporte à tous ses employés et cadres bonheur et contentement, et même au-delà, qu’il représente dans la ville un bienfaiteur, sorte de paternel aveugle et finalement extrêmement nombriliste, de l’autre, Franck Kafaim – le bien nommé – dévoreur de patrimoine, jongleur de bourse, dévoré lui-même par l’insatiabilité de son appétit et son embonpoint presque aussi démesuré que son cynisme, son ennui, sa solitude quasi asociale.

Robin Renucci et ses comédiens et comédiennes – toutes et chacun excellents dans l’interprétation de leurs rôles, l’excès et la drôlerie, et un dynamisme partagé et contagieux – réussissent à présenter là une pièce pleine de rires, totalement divertissante d’un côté, et de l’autre une belle analyse des dérives affairistes des barons des grandes bourses internationales qui cherchent le profit immédiat et surtout, qui parviennent à convaincre que la recherche du profit est la seule quête que doivent mener les actionnaires, quelles ques soient les conséquences humaines des démantèlements d’outils de travail. Parfois pourtant la clarté du propos flotte, entre l’analyse économique passionnante et implacable – au point qu’on peut être tenté malgré nous par les promesses de l’Avaleur, méchant presque sympathique – et une sorte de comédie de mœurs légère, fleurie et vaguement dramatique celles où se tressent les relations entre les protagonistes dont une bluette qui se noue entre l’avocate chargée de défendre les intérêts de l’entreprise et le fameux Kafaim. Le but de l’auteur étant clairement de mettre en acte l’attraction que celui-ci peut inspirer, qui semble pourtant peu crédible ici.

La fin de cet épique massacre est, sous forme d’épilogue, totalement optimiste, presque bucolique : elle évoque en résumé la génération suivante, celle qui comprendra les dangers de cette économie à la merci de financiers, banques et autres impersonnalités et qui choisira un autre mode d’existence, une économie sociale et solidaire plus humaine, plus visionnaire et moins avide de pouvoir. Un espoir en quelque sorte…

Bruno Fougniès

 

L’Avaleur

Texte d’après Other People’s Money de Jerry Sterner
Traduction Laurent Barucq
Adaptation Évelyne Loew

Mise en scène Robin Renucci
Assistants à la mise en scène Joséphine Chaffin, Julien Leonelli
Scénographie Samuel Poncet
Costumes Thierry Delettre
Maquillage et coiffure Jean-Bernard Scotto
Lumières Julie-Lola Lanteri-Cravet
Musique Gabriel Benlolo

Avec Nadine Darmon, Marilyne Fontaine, Xavier Gallais, Robin Renucci, Jean-Marie Winling

 

Mis en ligne le 7 février 2017