L’AIGLE À DEUX TÊTES

Théâtre du Ranelagh
5 rue des Vignes
75016 PARIS
01 42 88 64 44

Jusqu’au 30 mars 2017
du mercredi au samedi à 20h45, dimanche 17h00
Supplémentaires : à 17h00 samedi 18 mars, à 19h vendredi 10 mars, à 20h45 lundi 13, 20 et 27 mars. Relâche le 17 mars

 

L’Aigle à deux têtes loupePhoto Ben Dumas

Atmosphère subtilement sombre, énigmatique qui sied si bien au cachet du théâtre Ranelagh : au travers les bruitages d’orage nous percevons presque (vraiment ?) le craquement et l’odeur de ses anciennes boiseries. L’ambiance est définitivement située quelque part entre contes de Grimm et romantiques féeries. La mystérieuse reine arrive, visage moulé dans un bas blanc. Soudain, tel le spectre de Fantômas, l’esprit de Jean Marais est là et traverse les nôtres, l’espace d’un instant, sans doute pour nous rappeler qu’il fût le premier à jouer cette pièce en 1946 au théâtre Hébertot, dont il dévalait les grands escaliers en une cascade spectaculaire (mais ce ne sera pas le cas ici). Revenons donc à notre histoire. La reine est veuve et voilée. Elle aime la nuit, le vent et la tempête, elle erre de château en château, délibérément coupée du monde, hantée par la mémoire de son défunt époux, le roi Frédéric assassiné lors de leurs noces. Elle est très seule, considérée folle, au gré des jeux de cour et de pouvoir, à la merci des complots qui se tissent, trahisons, même celle de son unique suivante, le tout couronné par l’ambition politique du chef de la police .

Le soir d’anniversaire de la mort du roi, un jeune poète, homme du peuple chargé de tuer la reine, réussit à pénétrer la chambre de cette dernière. Ils se retrouvent face à face, c’est le coup de foudre. Il est surpris, car elle elle est différente, intègre et altière. Elle est troublée, car il est le sosie de Frédéric, et il est perdu. Elle le cache et le protège pendant trois jours. Mais tous deux sont conscients que leur lien si fort, leur relation particulière, hors du commun, est impossible, et ne saura perdurer… Et au final, nous sommes habilement retournés par la beauté de retournement du retournement de situation.

C’est esthétique, c’est tenu, c’est distancié, les comédiens campent leurs rôles.

La mise en scène reflète justement la signature poétique de Cocteau et sa fascination marquée pour l’austérité germanique. Le bel espace de la salle est intelligemment occupé. Les décors épurés affichent une agréable grandeur. Sur fond d’ombres chinoises d’arbres géants, omniprésents, l’avant-scène gagne en importance. L’idée du sceptre sous forme d’ampoule sur pied de micro est bonne (dommage que le câble blanc qui traverse la scène est gênant, le majordome étant obligé de le déplacer).

Nous retenons le résultat de cette “solitude devant une solitude”, attraction magnétique d’une reine anarchiste et d’un anarchiste royal, créant un somptueux aigle à deux belles têtes, et bien faites de surcroît : Delphine Depardieu, superbement souveraine, et Alexis Moncorgé, magnifiquement intense, s’élèvent ensemble dans un vol fusionnel en déployant majestueusement tout leur talent.

Luana Kim

 

L’Aigle à deux têtes

De : Jean Cocteau
Mise en scène : Issame Chayle assisté d'Aurélie Augier

Avec : Delphine Depardieu et Alexis Moncorgé (Molière de la Révélation Masculine 2016), François Nambot, Julien Urrutia, Salomé Villiers

Scénographie et Costumes : Muriel Delamotte
Lumière : Denis Koransky
Musique : Jules Poucet

 

Mis en ligne le 25 février 2017