IMPRESSIONS D’UN SONGE

Théâtre du Soleil
Route du Champ de Manœuvre
75012 Paris
Tél : 01 43 74 87 63

Jusqu’au 14 juin
du mardi au samedi à 20h00, les dimanches à 15h00

 

Impressions d’un songe loupePhoto Annabelle Jouchoux

« La vie est un rêve » de Pedro Calderon de la Barca est sans doute l’une des pièces les plus jubilatoires du théâtre occidental. Elle est aussi l’une des pièces phares de l’âge d’or espagnol.

Écrite en 1635, son propos reste d’une pertinence toute neuve. Ses interrogations, ses doutes et sa philosophie sont toujours d’actualité car elle met au centre de son discours un problème fondamental de la perception humaine, de ce quelque chose qui titille la folie pour faire chavirer la raison : la fine pellicule qui sépare le rêve de la réalité.

L’histoire est presque une expérience de laboratoire digne de celles des humanistes un siècle plus tard. Basile, roi de Pologne, averti par l’une de ses propres prédictions de la sauvagerie future de son fils Sigismond et la craignant, l’a fait élevé dans une tour, prisonnier, enchaîné, seul depuis sa naissance. Mais sur le déclin de sa vie, au moment de décider du lègue de son royaume à son neveu Astophle et à sa nièce Étoile, le vieux monarque décide de faire un test : mettre son fils, durant une journée, sur le trône et voir s’il agit en sauvage ou s’il fait preuve de bonté. S’il se montre cruel, il sera renvoyé dans sa tour pour le reste de ses jours et prendra cette journée passée au château pour un rêve.

Et le pire arrive, et, le jour suivant, Sigismond se retrouve enchaîné comme avant, troublé d’avoir vécu tout ceci en songe, croit-il, mais soupçonneux. Voilà le centre du propos de Calderon : qu’est-ce qui prouve que la réalité que nous croyons vivre est réellement la réalité quand certains rêves semblent plus vrais que la vie ?

Parallèlement, d’autres intrigues se jouent : Rosaura, déguisée en homme, découvre l’infortuné prince par hasard, alors qu’elle est en route pour venger son honneur bafoué par Astophle. Elle est accompagnée d’un serviteur au nom prédestiné de Clairon, seul personnage « vrai » de l’histoire, personnage comique, le seul d’ailleurs qui perdra la vie dans le combat final car lui seul refuse le compromis entre rêve et réalité.

Toutes les actions de la pièce s’inscrivent dans cette idée d’illusion acceptée : les personnages prennent de fausses identités pour tromper, intriguer ou par pur intérêt politique ou amoureux, des liens parentaux cachés sont dévoilés, des jeux de portraits, etc.

La mise en scène d’Alexandre Zloto se concentre totalement sur cette idée de convention que tous acceptent comme une réalité. La réalité pouvant dès lors être définie comme un consensus. Il n’y aurait donc pas de réalité objective mais une réalité acceptée par un groupe d’humains.

Dans ce but, il met toute sa confiance dans le jeu des comédiens. Le décor est un plateau nu, le sol un damier usé, le rideau de fond de scène s’ouvre ou se ferme pour figurer le château ou les autres lieux, toutes les ambiances sont assumées par des jeux de lumière qui délimitent les espaces de jeu. Les costumes quand à eux sont en cohérence avec la volonté d’imaginaire : un manteau au col de fourrure figure l’habit de roi, un harnais fait d’un homme un soldat…

Tout est fait aussi pour mettre l’accent sur le contrat que les spectateurs et les acteurs passent au moment de l’acte théâtral : cette convention qu’ils signent où il est dit que toute les actions qui se dérouleront sur le plateau sont fausses mais seront considérées comme vraies. À savourer cette belle scène jouée par Franck Chevallay qui interprète Clairon, dans laquelle celui-ci, mis à l’écart par les autres personnages et en particulier sa maîtresse, décide de se réfugier parmi les spectateurs pour, tout de même, continuer à suivre l’histoire avec nous !

Pourtant le spectacle peine à trouver son rythme, peut-être par un excès pédagogique, une volonté un peu appuyée de tout expliquer, peut-être parce qu’il s’agissait d’une des premières représentations, peut-être parce que certaines scènes paraissent moins intensément jouées que d’autres, sur un autre rythme.

Mais malgré ces instants de lenteurs, le spectacle passionne, surtout parce qu’il développe une sorte d’idée philosophique capable d’épargner les mortels que nous sommes de l’angoisse, de l’inquiétude, de la peur de la mort : considérer nos vies comme des rêves et agir en conséquence.

« Allons, Fortune, marchons vers le trône ; et si je dors, ne me réveille pas, et si je veille, ne me replonge pas dans le sommeil ! – Mais que tout cela soit une vérité ou un rêve, l’essentiel est de se bien conduire : si c’est la vérité, à cause de cela même ; et si c’est un rêve, afin de se faire des amis pour le moment du réveil. »

Bruno Fougniès

 

Impressions d’un songe

D’après La vie est un rêve de Pedro Calderón de la Barca
Trad. Denise Laroutis, éd. les Solitaires Intempestifs, 2004
Création collective du TAF Théâtre

Mise en scène Alexandre Zloto

Création lumière et construction Paul Alphonse
Création sonore Julien Torzec

Création costumes Lucile Lacaze

Avec : Ariane Bégoin, Franck Chevallay, Boutros El Amari, Charles Gonon, Dan Kostenbaum, Caroline Piette, Yann Policar

 

 

 

 

Mis en ligne le 15 mai 2015

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