LA TRAGÉDIE D'HAMLET

La Comédie-Française
Salle Richelieu
place Colette
75001 - Paris
08 25 10 16 80

Jusqu'au 12 janvier 2014 

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Mis en ligne le 11 octobre 2013

La trégédie d'Hamlet
© Cosimo Mirco Magliocca, 2013, coll. Comédie-Française

On reproche parfois aux mises en scène de la Comédie Française d’être trop lisses, de se placer trop en retrait des œuvres et de servir trop humblement et sans audace les grandes pièces du répertoire. On ne pourra pas faire ce reproche à celle de Dan Jemmett, qui reconnaît dans le dossier de presse qu’« il était clair qu’[il] ne se voyai[t] pas faire quelque chose de classique ». C’est au premier abord toute la difficulté qu’il y a à monter une pièce telle que Hamlet : comment ne pas sombrer immédiatement dans le cliché ? Le spectateur ne sait-il pas déjà à l’avance ce qu’il s’apprête à voir, n’anticipe-t-il pas certaines répliques qu’il connaît par cœur et le spectacle peut-il éviter d’être autre chose que la simple confirmation de ses préjugés ? Il était donc nécessaire de désacraliser la sentencieuse Hamlet et de revivifier l’archaïque château d’Elseneur. Soit. Mais de quelle façon et à quel prix ?

David Jemmet assume son choix de donner à voir la pièce sous une lumière inattendue et tape-à-l’œil, où des comédiens emperruqués sont habillés dans le style des années 1970 avec des chemises col pelle à tarte, bercés par une musique du juke-box dans l’ambiance plutôt populaire d’un club house d’escrime. Certains effets sont particulièrement réussis, comme par exemple la transposition des soldats en vigiles, l’entrée de Rozencrantz/Guildenstern sous la forme d’une marionnette et, plus généralement, l’ambiance de corruption vulgaire et malsaine qui entoure le personnage de Claudius – excellent Hervé Pierre ! –, dont l’aspect est davantage celui d’un petit chef de gang mafieux que celui d’un noble roi en exercice. Le public est surpris mais se laisse rapidement charmer par la cohérence de l’ensemble de la mise en scène qui, manifestement et à en juger par les applaudissements nourris qu’elle reçoit, semble plaire. Rarement, d’ailleurs, on aura autant ri devant cette pièce.

On ne saurait nier qu’il y a une certaine justesse dans ce Hamlet ainsi dépoussiéré, dans la mesure où la veine comique fait partie intégrante de la pièce de Shakespeare de même que la truculence de certaines répliques que la traduction d’Yves Bonnefoy rend avec beaucoup de saveur.

 Mais Hamlet n’est-il que cela ? L’y réduire ne peut se faire sans causer des dommages considérables à l’intelligence complexe qu’on est en droit d’en attendre. Avec ce drame d’une aussi grande densité et d’une aussi profonde richesse, le parti pris unilatéral de la mise en scène a sacrifié d’autres dimensions pourtant fondamentales de l’œuvre, à commencer par la grandeur métaphysique des interrogations existentielles du personnage principal. Denis Podalydès, dont le choix pour incarner un Hamlet chétif et empoté semblait a priori séduisant, méritait mieux car ni la gestuelle qu’il s’impose, la tête rentrée dans les épaules, ni sa diction saccadée ne permettent de rendre toute la mélancolie d’un personnage censé être autrement plus énigmatique et inquiétant. On reste à distance de sa révolte, de ses angoisses, de sa folie même. À force de mettre de la dérision partout et de chercher le décalage en permanence c’est toute la tragédie shakespearienne qui devient parfois incongrue et inutilement anachronique… par exemple quand Hamlet brandit un rouleau de papier toilette en guise de drapeau blanc pour répondre au coup de pistolet de Claudius. La salle, bon public, rit une nouvelle fois de la situation. Mais l’on se demande si c’est encore devant La tragédie d’Hamlet annoncée qu’elle s’esclaffe ou devant une comédie de boulevard dont les morts se relèvent bien avant le tomber de rideau final tandis qu’au juke-box Roy Orbison entonne un sirupeux « Sweet Dreams Baby » !

Frédéric Manzini

 

 

La Tragédie d'Hamlet

De William Shakespeare
Texte français : Yves Bonnefoy 
Mise en scène : Dan Jemmett 
Collaboratrice artistique et Dramaturgie : Mériam Korichi 
Scénographie : Dick Bird 

Avec

Éric Ruf : Le Spectre, Premier Comédien, Fortinbras
Alain Lenglet : Horatio
Denis Podalydès : Hamlet
Clotilde de Bayser : Gertrude
Jérôme Pouly : Laërte
Laurent Natrella : Bernardo, Valtemand, 2ème Comédien, le Marin, 1er fossoyeur, Le Prêtre, L'Ambassadeur d'Angleterre
Hervé Pierre : Claudius
Gilles David : Polonius
Jennifer Decker : Ophélie
Elliot Jenicot : Rozencrantz et Guildenstern
Benjamin Lavernhe : Marcellus, Reynaldo, 3ème Comédien, Un Capitaine, Un Messager, Osrik, 2ème fossoyeur