FUCK AMERICA

Théâtre de la Girandole
4 Rue Édouard Vaillant
93100 Montreuil
Tél. : 01 48 57 53 17

Jusqu'au 24 novembre
Lundi, mardi, samedi à 20h30
Dimanche à 16h00

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Mis en ligne le 5 novembre 2013

Fuck America

Un joli et accueillant petit théâtre – on vous offre un thé vert à votre arrivée – très proche de la station de métro Croix de Chavaux : voilà le théâtre de la Girandole que je découvre avec étonnement et plaisir.

La salle est petite, intimiste, le plateau est la continuité du plancher.

On entre. Les comédiens sont déjà installés, assis, immobiles, chacun sur son tabouret rouge.

Côté jardin, un musicien.

Puis la lumière se fait sur un des personnages.

Et nous voici happés, subjugués, emportés dans une ronde folle symbolisée par les mouvements et déplacements des trois personnages et de leur tabouret.

C'est violent, percutant, loufoque, déjanté, provocateur, cynique, dérangeant, très politiquement incorrect et pourtant terriblement drôle, de cet humour qui est dit-on la politesse du désespoir.

Il faut dire que c'est une adaptation du livre d'Edgar Hilsenrath dont nous avions déjà chroniqué Le nazi et le barbier. Une sorte de mélange de John Fante, Charles Bukowski et Woody Allen. C'est dire !

L'adaptation de Vincent Jaspard et la mise en scène collective des trois interprètes restitue parfaitement l'esprit de l'auteur.

Bernard Bloch est véritablement bluffant, interprétant au fil des courtes saynètes qui se succèdent avec une grande fluidité, une bonne vingtaine de personnages, qu'il campe tous avec naturel et une grande justesse, se métamorphosant d'une intonation, d'un geste, d'une attitude, d'une expression. Il faut le voir dans le dialogue entre Jakob le père et le Consul des États Unis, implorant un visa que ce dernier lui refuse avec une morgue insoutenable, jouant alternativement ces deux personnages si dissemblables. Il faut le voir arrivant enfin en Amérique et crachant avec force au visage de ce même consul qu'il reconnaît sur le quai les deux seuls mots anglais qu'il possède : Fuck América.

Il faut le voir en grand black dominateur, en agent matrimonial roublard, en patron de restaurant excédé et tant d'autres encore.

Corinne Fischer incarne avec le même bonheur tous les personnages féminins, aussi crédible en mère juive, en grosse américaine ou en présentatrice potiche (hilarante composition).

Vincent Jaspard quant à lui EST véritablement Nathan Bronsky, ce petit juif rescapé de l'horreur, parfait double de l'écrivain, baratineur, looser sympathique (scène inénarrable d'un serveur qui accumule les maladresses) tricheur, menteur, roublard, voleur parfois, toujours à l'affut de la bonne combine (comment ne pas payer son repas au restaurant) et toujours en manque d'amour et de sexe (improbable et désopilant dialogue entre lui-même et sa bite réclamant une éjaculation d'urgence ! ), distillant sa désillusion sur l'Amérique, pays d'un rêve qui devient vite cauchemar si on n'est pas coulé dans le moule, un paradis illusoire qui se révèle plutôt être jungle. À la fois vivant et mort, car comment vivre avec ce poids de l'holocauste, avec cette culpabilité du survivant, avec ce trou noir dans sa mémoire que seule l'écriture pourra combler.

Trois interprètes exceptionnels, qui parviennent à rendre le texte parfois très cru de l'auteur mais sans lourdeur aucune, car toujours sur le fil, et toujours avec sensibilité et retenue.

Il faut y ajouter le talent du musicien, Thomas Carpentier, qui rythme en contrepoint avec efficacité les changements de scène du son tour à tour plaintif ou enjoué de son violon et les lumières inspirées de Luc Jenny.

Un sans faute.

Nicole Bourbon

 

 

Fuck America

d'Edgar Hilsenrath
Adaptation : Vincent Jaspard

Mise en scène et jeu : Corinne Fischer, Vincent Jaspard , Bernard Bloch, Thomas Carpentier (musique)

Lumières : Luc Jenny