FAIRE DANSER LES ALLIGATORS SUR LA FLÛTE DE PAN

Au Théâtre de l’Epée de Bois, La Cartoucherie
route du Champ de manœuvre
75012 PARIS.  
01 48 08 39 74
Du 13 mars au 15 avril à 21h. Le dimanche à 16h.

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Sous ce titre étrange (et à rallonge) se cache un spectacle consacré à Céline. Tout est de lui. Il ne s’agit pas ici d’extraits de romans, mais de la correspondance, car Céline écrivait beaucoup, et ses lettres font entendre une voix forte et gouailleuse. Unique. C’est Emile Brami, éminent célinologue qui a composé ce spectacle. Ivan Morane l’a mis en scène et c’est Denis Lavant qui le joue.

On a droit à un flot de confidences et d’invectives. Chez lui, à Meudon (du moins on l’imagine) Céline y apparaît vêtu comme un clochard. Le froid le fait accumuler les gilets. Il tempête, tourne en rond, comme un lion en cage. Avec des mimiques évoquant parfois Léo Ferré, il bonimente, cherchant à caser ses livres. C’est surtout le côté argent qui le préoccupe. Il prétend n’avoir écrit que pour cette raison. Admirateur de Bruant et Barbusse, Céline règle au passage quelques vieux comptes avec la presse (qui le traquerait) et les critiques. Il s’interroge sur la longévité possible du « Voyage au bout de la nuit », son premier roman qui frôla le prix Goncourt.

Il livre aussi des clés sur la genèse de son œuvre, sur cette « transposition » qu’il aurait, le premier, trouvée : celle du style oral à l’écrit. Il n’y avait plus effectivement qu’à foncer. Mais surtout à travailler et retravailler : On croit que ça me vient facilement, clame Céline, mais non, c’est un effort incessant.

Le spectacle n’élude rien, pas même les brûlots, ce qu’il y a de plus inavouables dans cette œuvre foisonnante et parfois délirante. « Bagatelles pour un massacre » était écrit pour « se faire des ennemis ». « Je suis en guerre contre tous ! » éructe-t-il. On veut bien le croire. Mais l’écho de « L’école des cadavres » et de « Les beaux draps » n’est pas à la hauteur de ce qu’il espérait. Céline revient donc sur son écriture, sans doute le côté le plus intéressant de sa correspondance : le livre doit sortir de sa gangue. Quant au lecteur, il ne doit rien voir ou savoir du travail. Céline ne croit qu’au style.

La partie la plus jubilatoire  réside dans la critique à laquelle il se livre sur ses collègues romanciers. Peu trouvent grâce à ses yeux. C’est un véritable jeu de massacre dont Gide, Giono ou Malraux ne sortent pas indemnes. Sartre non plus, qualifié de « polichinelle » et d’ « idiot ».

Au final, on aura survolé trente ans de littérature , partagé les rages et les malheurs de Céline. Décor classique mais qui fonctionne. Mise en scène inspirée et surtout prestation hallucinée de Denis Lavant. Il a dans le regard ce même égarement. Une voix rauque qu’il module. Une agilité physique, également que Céline n’avait sans doute pas mais qui traduit au mieux la mobilité intellectuelle et émotionnelle de l’auteur de « Rigodon ».

On pouvait croire Céline « has been », relégué au magasin des curiosités littéraires. Il est bien vivant et ce spectacle nous le restitue dans toute sa complexité.

 

Gérard NOEL

 

 

Faire danser les alligators sur la flûte de pan, d’Émile Brami,

d’après la correspondance de Louis-Ferdinand Céline
Mise en scène de Ivan Morane, avec Denis Lavant.
Création lumières, Nicolas Simonin.
Création décor et costumes, Émilie Jouve