EL TRIÁNGULO AZUL

Café de la Danse
5 passage Louis Philippe
75011 Paris
01-48-28-79-90

Les 21 et 22 novembre 2016

 

El Triángulo azul loupe 

Dans un message enregistré à ses enfants, Paul Ricken se souvient. Il se souvient comment il s’est laissé convaincre par le nazisme à l’arrivée d’Hitler en Allemagne. Il raconte alors comment il s’est retrouvé affecté au service d’identification photographique du camp autrichien de Mathausen pendant la seconde Guerre Mondiale. Il devient narrateur de ce spectacle, un narrateur souvent hagard, errant sur la scène mais Laila Ripoll et Mariano Llorente ne s’intéressent pas uniquement au destin d’un SS repenti.  El Triángulo azul, c’est plutôt un hommage aux 7000 Espagnols, qui, après avoir fui leur pays lors de la montée en puissance du franquisme, se sont retrouvés dans une France collaborationniste qui les a déportés, principalement à Mathausen. Ces Espagnols que Franco ne souhaita pas accueillir de nouveau en Espagne, se virent alors marqués pas le triangle bleu des apatrides.

Laila Ripoll et Mariano Llorente se basent ici sur deux faits réels. D’une part, il y a la façon dont Antoni Garica et Francisco Boix, affectés dans le même service que Ricken parvinrent à mettre de côté les clichés pris dans le camp mais surtout à les en sortir – ces clichés servirent d’ailleurs de preuves lors du procès de Nuremberg. D’autre part, il y a la mise en scène, par des déportés espagnols pour des membres de l’administration du camp, d’une revue intitulée « El rajá de Rajaloya ».

C’est partant de cette anecdote méconnue et pour le moins insolite que Ripoll et Llorente ont créé cette pièce qui dénonce la barbarie du camp en jouant sur les contrastes. Ainsi, le spectacle est ponctué de chansons qui racontent la vie quotidienne : la classification des déportés et la couleur de leur triangle, la carrière de Mathausen, les chambres à gaz, les clôtures électrifiées, la suprématie de la race aryenne. Les paroles sont marquées par le sarcasme et l’humour noir et elles ont associées à des musiques qui détonnent avec le contexte concentrationnaire. Un chotis sautillant, un pasodoble entraînant, ou encore une zarzuela et une habanera.  Le décalage est souligné par la projection des photographies évoquées auparavant qui viennent rappeler à chaque instant qu’il est bien question dans cette pièce de la réalité même si les moyens employés pour la dénoncer peuvent surprendre.

Si l’on a coutume de dire que la musique adoucit les mœurs, il me semble qu’ici le grotesque et la bouffonnerie renforcent le côté arbitraire, absurde et cruel du camp. Et les contrastes ne se donnent pas à voir uniquement pendant les intermèdes musicaux : le texte et les personnages les servent à tout moment. Les acteurs dirigés par Laila Ripoll parviennent à montrer la solidarité entre les déportés, contrebalancée par la cruauté de La Begún, le kapo espagnol interprété par Manuel Agredano. Quant à l’ironie de Paco – Marcos León –, elle apaise les cris et les bruits de balles que l’on entend au loin. Et la douceur d’Oana – Elisabet Altube – s’oppose quant à elle à la vulgarité de Brettmeier, interprété par Mariano Llorente.

Une façon originale de mettre en scène l’univers concentrationnaire qui ne nous laisse pas indemne et qui s’est d’ailleurs vue récompensée en Espagne (Premio Nacional de Literatura Dramática et prix Max du meilleur auteur en 2015). On pense d’ailleurs à un autre dramaturge espagnol contemporain, Juan Mayorga, qui racontait dans Himmelweig (2006) comment les juifs du camp de Theresienstadt avaient dû suivre une mise en scène imposée par la direction du camp afin de faire croire au délégué de la Croix Rouge Internationale en visite que les conditions d’internement étaient en tout point satisfaisantes.

La scène contemporaine espagnole offre des perspectives très intéressantes, et à ce titre, le travail effectué par le Festival don Quijote est à souligner. Chaque année à l’automne, il offre la possibilité au public parisien hispanophone mais pas uniquement – les pièces sont surtitrées – de plonger dans le théâtre espagnol et hispano-américain classique et contemporain. Il dure jusqu’au début du mois de décembre et la programmation de la 25e édition est disponible ici : http://festivaldonquijote.fr/. Quant au Triángulo Azul de Laila Ripoll et Mariano Llorente, on ne peut que souhaiter que la pièce soit de nouveau programmée en France. 

Ivanne Galant

 

El Triángulo azul

De Laila Ripoll et Mariano Llorente
Mise en scène: Laila Ripoll

Avec:
La Begún : Manuel Agredano
Oana : Elisabet Altube
Paco : Marcos León
Brettmeier : Mariano Llorente
Paul Ricken : Antonio Sarrio
Toni : Ángel Solo
Jacinto : Jorge Varandela

Musiciens :
Clarinette, percussions : Carlos Blázquez 
Violon, percussions: Carlos Gonzalvo
Accordéon, piano, percussions: David Sainz
 
Costumes:  Almudena Rodríguez Huertas
Scénographie : Arturo Martín Burgos
Lumières : Luis Perdiguero
Musique : Pedro Esparza
Vidéo : Álvaro Luna
Son : David Roldan
Assistant à la mise en scène : Héctor del Saz
Technique et régie : Antonio Verdú
Distribution : Joseba García (Apriori)

 

Mis en ligne le 24 novembre 2016