DON JUAN REVIENT DE LA GUERRE

L'Atalante
10 place Charles Dullin
75018 Paris 
01 46 06 11 90

Jusqu'au 23 décembre
les lundis, mercredis et vendredis à 20h30
les mardis et samedis à 19h00
dimanche à 17h00
relâche jeudi.

 

Don Juan revient de la guerre loupe 

Il n’y aura plus de Don Juan… En ce début de vingtième siècle, tout un monde d’illusions et de mythes est enseveli sous les tranchées de la première guerre mondiale.  Les fantômes du romantisme, de  l’impertinence et de la métaphysique finissent de crever, décimés par la grippe espagnole. Nous sommes en 1918, Don Juan revient de la guerre, blessé, malade, incapable d’aimer. C’est la fin des rêves : la réalité du monde moderne s’impose partout. Un nouveau monde dont le nôtre est la continuité.

Il se dégage une sorte de nostalgie sous l’écriture du dramaturge de langue allemande. Écrit en 1937, ce texte décrit son époque : la montée des extrêmes dans toute l’Europe, les bouleversements économiques dus au grand capital et aux pouvoirs financiers de plus en plus puissants, la pauvreté croissante des plus pauvres et parallèlement l’intolérance croissante, le racisme, la désignation des boucs émissaires. Mais il raconte aussi les changements sociaux découlant des massacres de 14/18 : la volonté d’émancipation des femmes, l’envie de vivre et d’aimer vite, les années folles.

Ce nouveau monde en formation est offert aux deux comédiennes du spectacle qui vont interpréter les trente-cinq rôles que Don Juan va rencontrer durant ce voyage dans le temps. D’aucune il ne tombera amoureux car son cœur est rongé par la maladie. Cela ne l’empêche pas de séduire encore, malgré lui, et de toujours profiter de la bonne fortune, devenant marchand d’art, ou de faux, et de toujours ravager les cœurs de ses conquêtes, semant le malheur à chacune de ses rencontres.

Son seul but est de revenir dans un passé d’avant-guerre qui est mort maintenant, mais il ne l’apprendra qu’à la fin.

Pas de valet de comédie, ni Sganarelle, ni Leporello, ce sont les femmes qui racontent ici Don Juan : et elles ont la dent dure. Pourtant, rien de réaliste dans ce spectacle : tout commence sur une scène de théâtre, le grand théâtre du monde de la première moitié du XXème siècle et tout fini dans une illusion théâtrale de toute beauté.

Cela commence dès la première scène, les loges d’artistes des armées qui se démaquillent, et tout au long du spectacle, des rideaux de fond de scènes, des rampes latérales qui délimitent l’espace : c’est un plateau, de théâtre et de cinéma, où se joue l’action.

Un choix de mise en scène qui ne serait qu’ingénieux s’il se contentait des accessoires et des modulations du décor pour avancer dans l’histoire. Il y a dans cette mise en scène de Guy Pierre Couleau une volonté évidente de faire entendre ce que raconte en images, en courtes scènes, ce texte aux dialogues simples, modernes, quotidien.

Mais c’est aussi le travail de création de personnages qui touche et donne une fluidité sans heurts aux multiples changements de scène : un accessoire, un châle, un blouson, une petite robe plantent en quelques seconde et à vue un nouveau personnage mais cela ne serait que subterfuge si tout un travail de corps, de gestuel, de voix, de démarche, d’attitude n’était là. Effet magique de transformation. Et la grand-mère devient une entraîneuse chargée de gouaille, et la servante devient une ado de notre époque, tout en évitement et malaise. De même pour le personnage de  Don Juan, défait, malade, perdu qui peu à peu retrouve un panache désenchanté, se redresse, grandit, pour finir rattrapé par la sordide réalité : un comble, le voilà poursuivi pour viol sur mineure… deux mots qui n’ont jamais fait partie de l’univers du mythe.

C’est un spectacle d’une élégance rare, d’une pertinence douce, mis en scène avec des artifices simples et parlants et interprété avec une belle maestria par les trois interprètes.

Bruno Fougniès

 

Don Juan revient de la guerre

De Ödön von Horváth
Traduction Hélène Mauler et René Zahnd
Mise en scène de Guy Pierre Couleau
Assistant à la mise en scène : Bruno Journée
Création lumière : Laurent Schneegans

Avec : Nils Öhlund, Carolina Pecheny, Jessica Vedel


 

 

Mis en ligne le 16 décembre 2015