DIX HISTOIRES AU MILIEU DE NULLE PART

Théâtre de l’Atalante
10 place Charles Dullin
75018 Paris
01 46 06 11 90

Jusqu'au 3 février 2019
lundi, jeudi et samedi à 19h,
mercredis et vendredi à 20h30,
dimanche à 17h45
Relâches mardi, relâches exceptionnelles les 30 et 31/01 et le 01/02

Dix histoires au milieu de nulle part loupe 

J’ai cherché, mais je n’ai pas trouvé le terme qui pourrait définir « Dix histoires au milieu de nulle part ». Théâtre, spectacle, chorégraphie, œuvre chorale… aucune de ces désignations ne suffit. Il s’agit d’autre chose. Un acte qui dépasse les définitions usuelles, et qui englobe et se nourrit de toutes les disciplines qui viennent d’être citées. On pourrait parler de l’incarnation d’idées, de voix, de mise en chair, tant ce qui se passe sur le plateau semble de l’ordre de l’éphémère apparition, de l’exceptionnelle présence du vivant.

Pourtant tout est réglé au millimètre au souffle près. Gestes, démarches, attitudes, puissances retenues, harmonies des déplacements et des voix, portés, balancements, symbioses des corps, fusions des individualités, les six interprètes se meuvent et réagissent sans l’écart de la moindre seconde, comme un seul corps aux multiples individualités. Ils sont à la fois coryphée, portent la parole, les paroles des témoignages recueillis par Svetlana Alexievitch, et à la fois tissu social, humanité en questionnement, qui vient s’adresser à nous un peu comme une créature mythique aux multiples visages, incarnation païenne au cœur qui souffre, aux bouches qui réclament, aux yeux qui s’ouvrent comme des gouffres d’incertitudes, de peurs, d’espoirs, de grandeur et de simplicité : la voix de peuples face à l’incompréhensible existence.

Toute la mise en scène – qui est également une mise en mouvement, corps et voix – de Stéphanie Loïk tend à donner échos aux différents témoignages extraits de la dernière œuvre de Svetlana Alexievitch (prix Nobel de Littérature 2015) dans cette partie de La fin de l’homme rouge qui traite de l’après soviétisme : Moscou, les attentats de 2004 et d’après, Bakou quelques années avant, les rivalités, les haines qui s’exacerbent entre Azerbaïdjanais et Arméniens, puis retour à Moscou où les clivages se dressent de plus en plus étanches entre les minorités, les immigrés de l’ancienne URSS, les clandestins venus du Caucase…

Moscou, Bakou, Arménie, Azerbaïdjan, Caucase… tout ces noms sonnent lointain… mais, étonnamment, ce qui est révélé des exactions là-bas ressemble à ce qui semble se développer en Europe et ailleurs dans le monde : replis des nationalités sur elles-mêmes, mise en place de sous-citoyens sans droits, déchaînement contre des minorités ethniques ou religieuses etc. Tout cela est proche de nous à nous toucher.

D’autant plus que l’autre exceptionnelle vertu de cette mise en scène est cette manière de faire entendre ces vies, de les faire voir et exister, non pas seulement en s’adressant à nos intellects, mais autant et même d’avantage  en passant par l’impact direct fait à nos sens : certaines parties chorégraphiées sont comme des énergies pures que l’on reçoit au ventre, certaines scènes évoquées sécrètent immédiatement des images dans notre imaginaire, au point que l’on croit avoir vu pour de vrai, ces vies, et les mots viennent souvent percuter les peaux avant les esprits.

Pourtant, sur la scène nue de l’Anis Gras, toujours rien d’autre que les six interprètes, un éclairage très soigné et le son lointain des grondements du monde : explosions, musiques par vagues, fourmillements. Cela suffit pour faire passer des frissons qui naissent autant des histoires tragiques racontées que de la beauté pure des chorégraphies, du jeu et des chants des trois comédiennes et des trois comédiens.

 

« Dix histoires au milieu de nulle part » est le deuxième volet d’un diptyque comprenant une re-création d’une autre partie de l’adaptation du même livre (créée en 2015) : « La fin de l’homme rouge ou le temps du désenchantement ». Le diptyque se joue les dimanches après-midi. (1h45 chaque spectacle).

Bruno Fougniès

 

Dix histoires au milieu de nulle part

De Svetlana Alexievitch Prix Nobel de littérature 2015
Traduction de Sophie Benech (publiée aux éditions Actes Sud)
Adaptation et mise en scène Stéphanie Loïk
Création lumière Gérard Gillot
Création musicale, chef de chœur Jacques Labarrière
Chants russes Véra Ermakova
Assistante à la mise en scène et régie son Ariane Blaise
Assistant Compagnie Igor Oberg

Avec Vladimir Barbera, Denis Boyer, Véra Ermakova, Aurore James, Guillaume Laloux, Elsa Ritter

 

Mis en ligne le 26 octobre 2017

Actualisé le 8 janvier 2019