DE L’INFLUENCE DES RAYONS GAMMA SUR LE COMPORTEMENT DES MARGUERITES

Théâtre de l’Atelier
1 place Charles Dullin 
75018 Paris
01 46 06 49 24

Jusqu’au 23 janvier 2016
du mardi au samedi à 19h00
Représentation supplémentaire les samedis à 17h00

 

De l’influence des rayons gamma sur le comportement des marguerites loupePhoto Christophe Vootz

Deux «Regarts» sur la pièce de Paul Zindel :

 

Vu par Gérard Noël

La pièce de Paul Zindel date des années 70. Son titre improbable nous est  connu car elle a fait l’objet d’un film de Paul Newman (avec Joan Woodward). C’est une œuvre étrange qui évoque tout à la fois Tennessee Williams, pour l’ambiance familiale trouble et Eric Westphal (on pense bien sûr à « Toi et tes nuages »)

Donc, une jeune femme tente de survivre dans un cadre à la dérive, un peu capharnaüm… disons bohème. Elle cultive un look hippie, boit pas mal et fume abondamment. Elle a deux filles, qu’elle élève seule, tant bien que mal. Si la première, solaire,  est sa chouchoute. Elle ne cesse d’humilier la plus jeune, pourtant bonne élève et qui persiste à faire des expériences scientifiques… que ce soit sur un lapin ou sur les fameuses marguerites du titre. Ce personnage de mère abusive, Isabelle Carré s’en empare. Curieusement, on aurait imaginé une femme plus âgée… ou faisant plus âgée. Isabelle Carré, ce qui est intéressant, semble être la sœur de ses filles. C’est comme si elle jouait à être la mère, à forcer la voix ou à gronder, juste pour être dans la note. Cela, c’est au début. Et puis, malgré un petit problème de rythme, la pièce finit par prendre. Tout fonctionne : les robes ridicules des filles sont au diapason. Il y a des brouilles, des revirements, des éclats de voix. Les divers éléments s’agencent, comme les pièces écrites à cette époque : des cigarettes, un bâton de rouge à lèvres, un fauteuil roulant où gît une vieille femme qu’elles prennent en pension, le panneau annonçant le nom du salon de thé que la mère rêve d’ouvrir. Il y a ce constat terrible qu’elle énonce : « Je vis une demi-vie ! »

On n’en saura pas davantage sur ce qui a mené la famille ici.  La force de la pièce est, à un moment, de centrer tout sur une présentation que doit effectuer Matilda (la cadette) sur ses recherches concernant les rayons gamma. Disputes, règlements de comptes… Ruth (l’aînée) joue les trouble-fête. Un fragile équilibre est sur le point de se fissurer. Ce qui suivra ressemblera très peu, on s’en doute, au présent. Grâce à l’artifice du téléphone, l’adaptatrice a gommé les personnages secondaires (un prof, le directeur de l’école…) pour ne garder que ce trio fusionnel sur le point d’éclater.

Il faut souligner la force de la mise en scène d’Isabelle Carré, sa première, et son travail de comédienne. Elle est multiple, touchante et crispante à la fois. Alice Isaaz a un talent prometteur. Mais la grande découverte reste Armande Boulanger qui (en alternance avec Lily Taïeb)  joue la plus jeune des filles : elle colle parfaitement au rôle et chaque geste esquissé, chaque moue de dépit, chaque moment où on la sent pétrifiée par ce qu’on lui fait subir est parfait de justesse et d’émotion.

Pour toutes ces raisons, un spectacle fortement recommandé.

 

Vu par Bruno Fougniès

Un instantané d’une époque, d’une classe sociale, cette pièce est construite et doit son succès à cette manière quasi scientifique d’explorer la société américaine des années soixante du point de vue d’une classe sociale clairement défavorisée.

Le personnage principal, Béatrice Hundsdorfer, est une femme qui survit seule, ayant été abandonnée par son mari et père de ses deux filles maintenant adolescentes. L’aînée ressemble aux stéréotypes des étudiantes américaines plus intéressée par son maquillage, par les garçons et les « qu’en dira-t-on » que par les études. La plus jeune est le contraire : ingrate physiquement, portant lunette et aussi passionnée par les sciences qu’effrayée par les relations humaines.

Leur mère, interprétée par Isabelle Carré, tente de subvenir à leur besoin. Elle n’a pas de travail. Elle gagne cinquante dollars par semaine en gardant une vieille femme impotente. La misère est là. L’électricité est coupée régulièrement. Elle fume. Elle boit. Elle s’accroche à des rêves impossibles et des amours friables. Elle est un de ces êtres qui semblent être tombés à l’instant d’une vie radieuse en enfer, n’osant croire la réalité, n’osant sombrer, pas encore, dans l’aigreur, mais déjà, se vengeant de ce destin sur ceux en qui elle conserve encore un peu de pouvoir : ses filles.

C’est presque le visage d’une marâtre bouffie de méchanceté, drôle à force de dire ce qu’elle pense, que nous présente ici Isabelle Carré. Elle est injuste, vacharde, tour à tour intolérante et bonne copine avec ses filles. Elle parvient à créer un personnage très détestable qui pourtant touche et émeut et même fait rire. Un personnage très humain.

Face à elle, les deux jeunes comédiennes sont presque trop parfaites dans leurs rôles d’enfants vaguement maltraitées par la folie d’une mère. Elles sont un casting de cinéma, très réelles, très crédibles.

Mais il est vrai que toute la pièce tourne autour de la mère et d’un panoramique sur une Amérique qui ose regarder les abandonnés de la réussite en face. Une pièce qui pourrait être d’actualité aujourd’hui si toute la partie du harcèlement social n’était délaissée pour privilégier le portrait psychologique de cette mère et de ces filles et qui se résume finalement à un rapport de force un peu vain, mais pourtant très bien réinventé comme un rituel sans fin.

 

De l’influence des rayons gamma sur le comportement des marguerites

Pièce de Paul Zindel.
Mise en scène d’Isabelle Carré.
Adaptation et collaboration à la mise en scène : Manele Labidi-Labbé.

Avec Isabelle Carré, Alice Isaaz, Lily Taïeb, en alternance  avec  Armande Boulanger.

Scénographie : Delphine Sainte-Marie
Lumières : Franck Thévenon
Costumes : Nathalie Chesnais

 

Mis en ligne le 21 décembre 2015