CENDRES DE CAILLOUX

Théâtre La Boussole
29 Rue de Dunkerque
75010 Paris
01 85 08 09 50

Jusqu’au 26 mars 2017
du mercredi au samedi à 20h30,
Le dimanche à 20h00

 

Cendres de cailloux loupe 

Chronique de Luana Kim

 

Comme une impression de road-movie, ils déboulent, chantant et dansant sur des airs joyeux de guitare folk, look Amérique profonde, des squatteurs ?… En fait, non. Déjantés, paumés, deux faux couples s’efforcent à faire la fête, s’amuser à tout prix. Sous leur façade allègrement désinvolte transpire un déchirement, désoeuvrement, pesant, inquiétant. D’emblée (atmosphère provocante) nous vient cette envie (intelligemment provoquée…) de voir derrière les apparences.

En fait, c’est quelque part au Québec, respirent les étendues vastes. Perdue entre la rivière et les montagnes, une petite ville et ses alentours. Arrivés de Montréal, un père et sa fille, qui cherchent à se reconstruire suite à un sordide drame familial. Sur place, la “blonde” la plus populaire du coin est brune, bad girl au tatouage morbide, chef naturelle d’une bande de potes qui la “trollent" (draguent, en québécois), et son indéfectible suivant/soupirant, fêlé, qui collectionne les vertes et les pas mûres, esprit “à la vie à la mort”.

Le tableau se dresse petit à petit, au fur et à mesure que chacun des quatre protagonistes, bien écorchés, se raconte sa version, forcément subjective, de l’histoire qui se déroule sur une période de sept ans. Le tout est en proie et au gré des quatre éléments se mélangeant : la terre à laquelle aime parler “la tatouée”, l’eau qui engloutit ces “cailloux” dont veut se débarrasser le père - qui en a d’ailleurs le surnom -, l’air purifiant que recherche inlassablement sa fille, le feu tout flammes qui ravage la tête très habitée du barj’ consacré.

C’est par moments dérangeant, mais toujours étonnamment poétique, poignant, ébranlant. Le texte fort de Daniel Danis est hautement servi par des comédiens présents, très touchants, qui maintiennent fermement la tension et le rythme soutenu pendant près de deux heures. Philippe Valmont fait intensément ressentir la lave qui bout sous l’aspect d’un père pas si tranquille aux yeux de loup. Marie Mainchin réussit à exprimer la belle et innocente maturité d’une adolescente dont la sagesse surpasse celle des adultes qui l’entourent. Solène Gentric montre avec subtilité les tortueuses failles de la séductrice patentée qui éperdument tombe amoureuse. Franck Jouglas sait attiser l’insolence désespérée d’une âme errante et délaissée, paradoxalement stable dans sa folie incontournable. Bref, excellent casting de Christian Bordeleau, qui signe encore ici une mise scène habile, cohérente, plaisante, pertinente. De telle sorte qu’il laisse entrevoir en filigrane un cinquième élément… Les intentions, les sentiments, la beauté de cette lueur d’indéfectible espoir, sublimatrice des cendres laissées par l’incendie de la vie.

 

Chronique de Bruno Fougniès


Il y a, dans ce spectacle, une fraîcheur, une verdeur, une sensualité et une porte ouverte sur un dépaysement vivifiant mais pas un dépaysement géographique, plutôt un dépaysement poétique. C’est pourtant sans effet de décor (rien sur scène ou quelques meubles accessoires) et aussi en luttant contre la lumière de ce théâtre totalement inadapté à ce récit que les quatre interprètes parviennent à nous emmener dans cette histoire. Ce sont leurs corps, leur jeu, leur manière de se passer le relais des répliques de ce texte conçu à la fois comme une narration et comme une course à l’aveugle qui emportent le spectacle.

Une histoire de losers qui se passe là-bas, au Canada, en campagne québécoise enneigée. Elle réunit une bande d’amis d’enfance, amis-amants, et la rencontre avec le père et sa fille, nouvellement arrivés au village, fuyant une ancienne vie achevée sur le meurtre de la mère de la petite. Une fuite. Une tentative de se reconstruire, d’oublier, de revivre, pour lui, et de commencer à vivre pour l’adolescente.

Le texte de Daniel Danis, fait de longues répliques narratives entrecoupées de scènes de vie presque ordinaires, est composé comme un oratorio pour quatre solistes. Il faut noter l’excellent foisonnement d’images, de couleurs, de sons et de sensibilité dont il est fait. Une écriture à la fois simple et poétique, rythmée et évocatrice. Quelque chose de savoureux et de nourrissant, et surtout de sincère sourd de chaque mot.

La mise en scène de Christian Bordeleau ressort surtout dans le travail et le jeu des comédiens. Une mise en scène qui propulse l’histoire avant tout et instille le rythme vital au spectacle.

Quant aux comédiens, ils collent à la peau de leurs personnages : losers magnifiques, quidams aux cœurs battants, qui respirent, souffrent, rient et espèrent sans jamais lâcher prise. Leur énergie et la netteté de leur interprétation sont exemplaires.

 

 

Cendres de cailloux

Texte de Daniel Danis
Mise en scène : Christian Bordeleau
Musique originale : Geneviève Morissette
Assistante : Bérengère de Pommerol
Lumières : Christian Mazubert
Costumes : Sylvie Blondeau
Décors : Fabien Torrez

Avec : Philippe Valmont, Solène Gentric, Marie Mainchin, Franck Jouglas

 

Mis en ligne le 31 janvier 2017