BLASTED / 4.48 PSYCHOSIS

Théâtre-Studio d’Alfortville
16 rue Marcelin Berthelot
94140 Alfortville
01 43 76 86 56

Jusqu’au 25 février 2017, du lundi au vendredi à 20h30, le samedi à 19h et 22h00
Spectacles en alternance :

Blasted : Lundi - Mercredi - Vendredi
4.48 Psychosis : Mardi - Jeudi
Les Samedis : 19h00 Blasted, 22h00 : 4.48 Psychosis

 

Blasted loupe Photo © Simon Annand

Sarah Kane, fulgurante et éphémère flamme dramatique, se fait connaître par le scandale des représentations de sa première pièce, Blasted, en 1995 à Londres. Elle disparaît pendue à ses lacets de chaussures dans les toilettes d’un l’hôpital quelques semaines après avoir écrit son dernier texte, 4.48 PSYCHOSIS, en 1999. Entre ces deux dates, elle a le temps d’écrire trois autres pièces. C’est tout.

Rien de tiède dans son écriture, rien de policé, de joli pour faire joli, rien de charmant dans les histoires qu’elle raconte non plus. Les personnages, les situations et les constructions de ces pièces sont fait de rugueux, de charnel, de violent. C’est de la tragédie. Une tragédie du XXIème siècle. Une tragédie qui prend aux tripes, parle directement à notre compréhension par un langage asséché, et à notre imaginaire par des métaphores lumineuses car elle puise son inspiration dans nos vies et notre actualité, qu’elle jette sur le plateau pèle mêle. Un plateau où se retrouvent le monde, nos peurs et les paniques abyssales de Sarah Kane qui ne s’épargne pas, ne reste pas en retrait de son verbe mais y implique ses effrois, son angoissante crainte de la solitude, son besoin et sa terreur des autres.

 

Blasted, c’est un couple dissemblable par l’âge, presque un inceste, lui, journaliste en fin de vie, cancéreux, ivrogne, paranoïaque raciste toujours armé… vieil amant dont elle ne veut plus, elle, Cate, fragile, l’allure d’une adolescente, avec ces pertes de consciences qui la prennent lorsque la violence devient excessive. Elle le devient vite. Il abuse d’elle. Il la retient. Ils se connaissent si bien.

Rarement vu aussi fortement rendu cet instant instable qui se crée entre deux êtres avec ce rapport sexuel en enjeu constant, sans qu’il soit question de désir, vraiment, ni d’amour, mais de ça, de cette relation, ce moment où tout peut arriver, où la paix, l’indifférence presque fait place en une seconde à la méfiance, la peur possible. Lui, Ian, et elle, Cate, sont comme deux prédateurs, blessés, affamés malgré tout de quelque chose, d’un manque, mais dangereux l’un pour l’autre, comme une meute réduite à eux deux, avec le besoin de rester face à face, car le monde autour à ce moment-là n’a que l’importance d’un décor, ailleurs.

Un début de pièce où les repères explosent toutes les minutes. Puis l’histoire se déroule et ce jeu pervers, mortifère, agonisant est soudain fracassé par la violence du monde qui débarque dans ce ronron sous la forme d’un soldat tout droit tombé de la guerre de Bosnie. Les cartes sont alors brouillées. C’est lui qui tient le fusil, lui qui a le plus faim, lui qui a le plus de monstruosité dans la mémoire, qui a le plus le désir de vivre l’instant et de tout foutre en l’air. C’est la guerre en plein centre de l’Angleterre, en plein cœur. Et tout ce qui est civilisé retourne sous terre.

Christian Benedetti, à la mise en scène et dans le rôle de Ian, évite, comme il sait si bien le faire, toute sensiblerie, tout pathétique. Même s’il ne cache rien des scènes violentes et crues, il évite l’insoutenable sans pourtant en dissimuler l’horreur. Une mise en scène rapide, efficace, surprenante par ses changements de rythme qui teint en haleine. Marion Trémontels qui joue Cate semble une enfant à ses côtés, une enfant dont la vie aurait cassé l’âme sous ses coups. Elle est d’une vérité totale.

4.48 Psychosis loupe Photo © Simon Annand

4.48 PSYCHOSIS

La jeune femme est dressée sur un plan incliné. Hélène Viviès. Dans un éclairage qui la dévisage et dessine ses traits en creux et en pleins. Un jean, des baskets noires aux lacets rouges, un débardeur jaune donne un peu de chaleur à sa silhouette. Dans cet éclairage, cette attitude hiératique, les mains posées sur ses hanches. Des mains qui paraissent étrangement fortes, tendues, disgracieuses à force d’être agrippées aux hanches comme si celles-ci étaient le bord d’une falaise et le reste du corps pendu dans le vide au-delà. Dernière accroche avant la chute mortelle. Un texte sans personnages, avec une multitude de voix, testament charnelle de celle sur le point de se suicider parce que… tout est irréconciliable. Les choses sont irréconciliables. L’esprit, le corps, mais pourtant résonne par moment cette quête impossible à abandonner pour trouver quelque part enfin, chercher, toujours, cette unité, cet accord si vital entre le spirituel, la volonté, l’idéal et la chair, ses désirs, ses sales besoins, ses sales phobies, ses sales mal-être… Hélène Viviès est l’instrument par lequel toute la partition émotionnelle de ce texte vibre, plane, explose. Que ce soit dans le silence ou la profération, sans aucun artifice que le don qu’elle fait d’elle-même aux mots de Sarah Kane, elle parvient à nous donner tout, avec une clarté et une incarnation rares.

Cette force de vivre au présent irradie tout le spectacle, les deux pièces mais il est difficile de rendre compte de tout ce que traversent et exposent ces textes. Sinon cette recherche absolue de ce en quoi l’humain peut être humain. Mais aussi et surtout et sans que cela soit contradictoire, de l’irréconciliable : corps/esprit, vie intérieure/besoins. L’écartèlement perpétuel et sanguin qui finit sans doute par épuiser la jeune Sarah Kane.  

Tous ces personnages ont une étrange hâte à vivre. L’instant prime. Ils sont comme des porteurs de plaies qui ne peuvent s’empêcher de sans cesse rouvrir leurs blessures comme s’il valait mieux avoir mal pour se sentir vivant que de ne rien sentir du tout.

C’est cela, cette frénésie à vouloir éprouver la vie, qui nous accompagne, un peu groggy, hors du Studio-Théâtre, pour le reste de la nuit.

Bruno Fougniès

 

Blasted / 4.48 Psychosis

Textes de Sarah Kane

Blasted : Traduction de Lucien Marchal

4.48 Psychosis : Traduction de Séverine Magois

Mise en scène et scénographie Christian Benedetti
Assistante à la mise en scène Gaëlle Hermant
Lumière Dominique Fortin
Construction Erik Denhartog et Antonio Rodriguez
Costumière et Habilleuse Lucile Capuçon

 

Blasted

Avec Christian Benedetti, Marion Trémontels, Yuriy Zavalnyouk

4.48 Psychosis

Avec Hélène Viviès

 

 

 

Mis en ligne le 14 février 2017