À MON ÂGE, JE ME CACHE ENCORE POUR FUMER

Maison des Métallos
94 rue Jean-Pierre Timbaud
75011 Paris
Tél : 01 48 05 88 27

Jusqu’au 21 décembre 2014
du mardi au vendredi à 20h, samedi à 19h, dimanche à 16h.

 

À mon âge, je me cache encore pour fumer loupePhoto Bastien Capela

Tout se passe au hammam, à l’heure réservée aux femmes. Lieu protégé où les hommes n’ont pas accès. La salle a été brossée, récurée, désinfectée après leur passage. Petit moment de calme et de solitude dont Fatima, la responsable du hammam, profite pour fumer une cigarette en paix. Les volutes s’enroulent langoureusement dans les rayons obliques de la lumière dorée. Ce sera le seul moment de respiration pour ce personnage (magnifiquement sculpté par Marie Augereau, avec de la gouaille, de la rocaille et de l’esprit), un moment brisé par neuf violents coups portés sur la porte d’entrée, comme les neufs coups du brigadier qui commencent traditionnellement le théâtre.

Rayhana, l’autrice, a effectivement choisi de faire de cet après-midi au hammam un lieu où l’action va fuser de toutes parts. Neuf femmes vont s’y croiser, s’y affronter, s’y réconforter, y partager leurs rêves, leurs secrets, leurs déceptions et leurs blessures. Dans une société intégralement sexiste et paternaliste (l’Algérie ou un autre pays en proie à la religion), une société où l’islam tente de cantonner les femmes dans les rôles d’épouse, de mère et de ventre, une société en guerre avec elle-même, secouée par les attentats et les violences des intégristes, ce hammam devient le lieu où les femmes peuvent agir et parler en liberté.

Mais rien de didactique dans ce spectacle : plus que les idées, c’est la vie qui parle ici, les vies. Au-delà des revendications et des douleurs, c’est une ode à la femme, et  à la merveille de l’existence qui éclate dans ce texte. Toute la pièce est traversée par les rires qui sont comme les soupapes nécessaires aux  situations dramatiques poignantes de chacun de ces personnages. Rien de didactique non plus dans le choix de ces histoires, de ces femmes qui se retrouvent là, comme dans d’autres sociétés les femmes se retrouvent au club de sport ou chez le coiffeur ou l’esthéticienne. Tous les milieux sont mélangées, tous les destins : de celle qui fut mariée de force à treize ans à un vieux de cinquante à celle qui, émancipée, vient de divorcer, en passant par cette jeune veuve qui porte le voile et répand les discours de haine et de vengeance pour son mari injustement tué par le pouvoir en place, sans oublier l’émigrée en France venue chercher une femme obéissante pour son fils…  

Le texte de Rayhana a le mérite d’être construit sur une véritable trame dramatique qui évite totalement la galerie de portraits. Une trame soutenue par un duo de personnages : Fatima, la responsable du hammam, bourrue, bougon et au cœur d’or et Samia, son employée, jeune vieille fille en mal d’amour, rêveuse et étoilée, interprétée par Linda Chaïb étincelante. Un duo comique et tragique à la fois qui donne le ton à la pièce.

Chacun des autres personnages possède des traits forts, marqués, reconnaissables, et chacun est porté par des actrices de talent, investies, inventives et généreuses.

De ces femmes si disparates, si différentes, si étrangères les unes des autres, comme si elles vivaient dans des époques différentes, surgira une révolte commune quand soudain la porte est à nouveau secouée par des coups, des cris, des explosions de haine : ceux d’hommes venus tuer l’une d’elle, coupable d’être tombée enceinte hors mariage. Une union frissonnante les unira alors toutes, contre l’injustice faite à la vie.

Dans une scénographie simple et élégante, une mise en scène discrète et malgré quelques passages où l’action languit un peu, ce spectacle est d’une rare vitalité, d’une belle sensualité et d’une âpre drôlerie, qui ose parler à nu et avec impertinence et drôlerie, de ce qui se tait le plus souvent.

Il est comme l’orange qu’on épluche entre ses doigts, avec l’écorce qui projette ses nuages d’essence qui pique les yeux, des nuages qui peuvent également prendre feu quand ils rencontrent une flamme. Les histoires racontées ici sont comme cette orange qu’on épluche : la chair sucrée, douce, fragile, la peau qu’on déshabille, et l’acidité qui brûle de tant en tant cruellement.

Bruno Fougniès

 

À mon âge, je me cache encore pour fumer loupePhoto Bastien Capela

À mon âge, je me cache encore pour fumer

Texte de Rayhana (éditions Les Cygnes et au format numérique sur le site et l’application des Presses Electroniques de France)
Mise en scène et scénographie Fabian Chappuis
Assistante à la mise en scène Stéphanie Labbé
Lumières Franck Michallet
Vidéo Bastien Capela
Son Vincent Brunier
Musique Arve Henriksen, Gaâda Diwane de Béchar
Costumes Rayhana
Assistée d’Édouard Funck
Conseil chorégraphique Serge Ricci

Avec :
Marie Augereau, Géraldine Azouélos, Paula Brunet Sancho, Linda Chaïb, Rébecca Finet, Catherine Giron, Maria Laborit, Taïdir Ouazine et la participation de Frédéric Meille

Mis en ligne le 14 décembre 2014

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