QUATREVINGT-TREIZE de Victor HUGO

Maison de la poésie
Passage Molière
157, rue Saint-Martin
75003 Paris
01 44 54 53 00
Jusqu'au au vendredi 13 avril puis du mercredi 2 au dimanche 20 mai
du mercredi au samedi à 20h00 - dimanche 16h00 

Quel challenge de réduire le foisonnant roman de Victor Hugo à une pièce de théâtre de deux heures.

Challenge pourtant relevé et oh combien brillamment réussi par Godefroy Ségal et son équipe.

Quatrevingt-treize est le dernier roman de Victor Hugo. On y retrouve comme à l'accoutumée actions dramatiques, péripéties épiques, tempêtes sous les crânes, symbolisme lyrique, tragique et mélodrame, avec une puissance évocatrice faite de formules à l'emporte-pièce et d'audacieux morceaux de bravoure. La petite histoire se mêle à la Grande, donnant l'occasion à l'auteur de nous signifier sa propre vision du monde.

Dans Quatrevingt-treize, il nous raconte la période troublée de la Terreur qui suit la Révolution, quand la France doit faire face à un double péril : présence des troupes anglaises et de celles des coalisés aux frontières, guerre civile à l'intérieur entre Républicains et Royalistes, avec en filigrane une réflexion sur les évènements contemporains de la Commune. Et qui ne manque pas également d'avoir une résonnance avec ce que nous vivons actuellement.

Les trois protagonistes principaux, Lantenac, Gauvain et Cimourdain, chargés d'incarner un des aspects de la guerre civile, appartiennent de près ou de loin à la même famille, véritable ressort dramatique et image hautement symbolique des luttes fratricides qui déchirent la France d'alors. Se confrontent ainsi deux modèles, deux visions de l'Histoire, deux systèmes de Valeurs. Ils s'affronteront jusqu'à la fin où Lantenac prouvera que l'ancien régime avait assez de ressource pour s'humaniser, et où Gauvain montrera que la Révolution peut réaliser humainement son projet d'humanité.

Dans cette adaptation de Gogefroy Ségal, on retrouve tout cet esprit. Loin de tomber dans le piège d'une impossible reconstitution, il a pris le parti de la simplicité.

Cinq interprètes vont tour à tour narrer le texte même de Victor Hugo, judicieusement élagué, et interpréter les différents personnages en reprenant les nombreux dialogues qui émaillent le récit d'origine.

Sobrement vêtus de noir, ils incarneront d'un unique geste ou d'une simple intonation de voix tour à tour les différents protagonistes de l'histoire. Leur servent d'écrin, un sobre clair-obscur et la projection des superbes tableaux de Jean Michel Hannecart, en noir et blanc, dans l'esprit des eaux fortes qui illustraient le livre original.

Utilisant les bruitages comme au temps des feuilletons radiophoniques, ils vont nous transporter au fond de la forêt, au sein d'une bataille en mer, au cœur d'un débat parlementaire à la Convention, en recréant le chant des oiseaux, le tumulte d'une bataille en mer, le fracas des coups de canons utilisant simplement et sous nos yeux une toile secouée pour faire entendre les voiles d'un navire, des percussions pour les scènes de combat, des pétards qui nous font sentir l'odeur de la poudre, des sifflements pour le vent.

Et la magie opère, on oublie ce qu'on voit pour ressentir pleinement ce qu'ils veulent nous montrer, on est au cœur de la bataille, dans un village dévasté, dans une cellule, on voit la perte du navire, l'incendie de la tour, on se croit véritablement avec Danton, Robespierre et Marat au cours d'une scène d'anthologie.

La tension monte jusqu'à la scène finale, on est emporté par la beauté et le lyrisme du texte, la force évocatrice des mots autant que par le talent des comédiens, l'originalité et la puissance de la mise en scène.

Quand le noir se fait sur ces mots de Victor Hugo « Et ces deux âmes, sœurs tragiques, s'envolèrent ensemble, l'ombre de l'une mêlée à la lumière de l'autre. », on reste dans son fauteuil comme écrasé par tant d'émotions diverses éprouvées.

Voilà du beau, du vrai, du talentueux théâtre, capable de nous subjuguer et de nous faire voyager loin sans autre artifice que le talent et l'imagination. Merci pour ce fabuleux moment.

 

Nicole Bourbon

Quatre-vingt-treize

Adaptation et mise en scène de Godefroy Ségal
Peintures de Jean Michel Hannecart.
Projections Benjamin Yvert
Assistante à la mise en scène Mathilde Priolet

Avec : Géraldine Asselin, François Delaive, Nathalie Hanrion, Alexis Perret, Boris Rehlinger