CINELANDIA

Théâtre du Petit Montparnasse
31 rue de la Gaité
75014 Paris
01 43 22 77 74
Du mardi au samedi 21h, le dimanche à 16h45

Plongée au cœur de l'âme argentine

 

On connaît depuis des décennies le monde exubérant que nous propose Alfredo Arias dans la plupart de ses créations. La démesure, la grandiloquence parfois, mettant en scène des caractères puissants, stylisés, colorés, étranges. Si proches de nous et pourtant impalpables, à la fois terriblement charnels et aériens. Dans Cinelandia, les personnages sont d'autant plus hors normes qu'ils sont descendus de l'écran de cinéma pour venir rejouer les scènes pathétiques et poignantes qui les ont transformés en icones.

Et quel cinéma ! Alfredo Arias fait apparaître devant nous les héroïnes et les héros de quatre films argentins qui ont marqué sa jeunesse. Quatre histoires soutenues d'érotisme et remplies de sentiments exacerbés qui ont été projetées sur les écrans argentins entre 1937 et 1968. Et voilà ces fantômes cinématographiques surgissant dans cet espace sans limite qu'est un plateau de théâtre.

Fantômes oui, ou plutôt doubles ambigüités car ces personnages sont à la fois les acteurs et les rôles qui les ont propulsés dans l'imaginaire populaire de tout un pays. Ils possèdent quelque chose de plus que des êtres de chair et de sang normalement constitués, ils ont une sorte d'éternité, et en même temps, ils font tellement corps avec les personnages qu'ils ont joués à l'écran qu'on les sent prisonniers des mécaniques de leurs rôles démesurément mélodramatiques. Les voilà tour à tour fragiles et délicats comme des marionnettes de papier, ou vibrants et déchirants comme des êtres de chair épris de pureté et emportés par le désir.

« Les drames sont fait pour les Dieux Grecs, les mélodrames sont pour les argentins » dit un des personnages dans un des nombreux moments de dérision.

Et il en faut pour avoir concocté ce savant dosage qui nous fait passer de l'érotisme le plus délirant (comme la scène évoquée du film « Carne » où la charnelle héroïne, ouvrière dans un abattoir bovin, est jetée par son violeur sur une carcasse de vache, chair vivante sur viande) à la sentimentalité la plus pure et la plus innocente, aux peines de cœur les plus naïves, et à cet omniprésent désir d'être irréprochable, fidèle aux normes de la morale, respectable enfin aux yeux de la société argentine.

La folie romanesque et sensuelle se confronte, avec la distance, à la réalité sociale de l'Argentine.  C'est ainsi que tout le spectacle nous propose un pari d'équilibriste entre illusion et réalité, folies passionnelles et sentimentalité exacerbée, phantasmes torrides presque inimaginables et sens moral des plus élevés. Mais surtout des imaginaires farfelus, débridés, délivrés, jetés sans états d'âme dans une sorte de concret d'opérette.

Car Alfredo Arias et ses trois magnifiques compagnons de scène – Sandra Guida et Alejandra Radano qui incarnent avec grâce et ironie l'idéal sensuel féminin de ces années-là et  Antonio Interlandi dans trois rôles d'amoureux dont les point communs sont la fougue, le fierté, l'intrépidité, chevaleresque et macho à la fois – nous montrent ici  avant tout l'imaginaire, l'imaginaire de l'âme argentine, un imaginaire qui semble sans limite.

Tout est ici évoqué, raconté par le verbe amusé d'Alfredo Arias et de René de Cecatty, Alfredo Arias à la fois maître de cérémonie et intermédiaire entre ces personnages moitié acteurs, moitié fiction et les spectateurs. Il est le passeur d'images et le grand métronome. Car le spectacle est rythmé à la perfection. Les scènes tombées des films cultes sont parcourus de chansons où palpite l'émotion pure. On voit et l'on entend entre autres Libertad Lemarque, l'une des meilleures chanteuses de tango, et Isabel Sarli, l'icône pop, terrible poupée fantasmatique.

Un intense panorama qui passe de la romance aventureuse (Baisers Ensorcelés), au drame fantastique (Le Crime de Oribe), à l'adaptation contemporaine à la limite du vraisemblable de la littérature classique (La Dame aux Camélias) et à une excentricité érotique (Carne). Les trois interprètes sont tous excellents chanteurs.  Tout s'enchaîne avec légèreté et évidence. Les déplacements, la gestuelle et le rythme sont d'une fluidité parfaite, de même que les changements de lumières et les apparitions et disparitions des personnages. On est presque dans un monde aquatique.  Et l'on sort de la salle comme on se réveille d'un de ces rêves qu'on ne veut pas quitter au matin, avec l'impression étrange que le spectacle n'a duré que quelques minutes.

 

Bruno Fougnies

 

 

Cinelandia

Conception et mise en scène : Alfredo Arias
Texte : Alfredo Arias et René de Ceccatty

Avec
Alfredo Arias, Sandra Guida, Antonio Interlandi,  Alejandra Radano

Arrangements musicaux : Diego Vila
Espace scénique : Malika Chauveau
Costumes : Pablo Ramirez
Lumières : Jacques Rouveyrollis
Accessoires : Larry Hager

 

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