COSÌ FAN TUTTE

Maison des Arts de Créteil (MAC)
Place Salvador Allende
94000 Créteil
01 45 13 19 19 et mac@maccreteil.com

Durée : 3h20 avec entracte

Les 19, 20, 23, 24 juin 2015 à 20h00

 

loupe 

Opéra bouffe en deux actes, et dernier opéra italien de Wolfgang Amadeus Mozart, sur un livret de Lorenzo Da Ponte, composé pour répondre à une demande de l'empereur d'Autriche Joseph II, Cosi Fan Tutte connut un énorme succès lors de sa création à Vienne en 1790.

Très vite cependant, jugée immorale par le puritanisme romantique, l’œuvre disparut de l’affiche jusqu’à la fin du XIXème siècle.

Il est vrai que présenter deux jeunes femmes qui vivent leurs histoires d’amour en toute liberté et hors de la tutelle paternelle, et une soubrette qui les pousse à être infidèles et à profiter de leur jeunesse et des plaisirs de la vie, est plutôt audacieux pour l’époque.

Même si finalement les deux héroïnes, Dorabella et Fiordiligi, manipulées à leur insu, sont les victimes d’une farce cynique élaborée par Don Alfonso, vieux libertin sceptique et ami de leurs fiancés respectifs, Ferrando et Guglielmo, dans le but d’ouvrir les yeux de ces derniers.

En effet, profondément convaincu de l’infidélité des femmes, Alfonso affirme que même leurs fiancées, dont ils vantent la constance, peuvent facilement se laisser séduire par d’autres hommes, et met au point un stratagème pour le démontrer.

« Cosí fan tutte », « Ainsi font-elles toutes », conclura-t-il lorsque les faits lui donneront raison, avant de persuader les jeunes hommes de célébrer leurs noces comme prévu puisque, la nature humaine étant ce qu’elle est, autant se faire une raison.

Cette comédie burlesque qui aurait pu se terminer en tragédie trouve ainsi un heureux dénouement.

Opéra bouffe, Così Fan Tutte emprunte ses codes, ses artifices (les déguisements) et ses personnages, (Despina, la soubrette, un Arlequin en jupon, ou Don Alfonso, un Pantalon libertin et intrigant) à la commedia dell’arte.

De fait, l’intrigue, inspirée d’un fait réel mais traitée avec une invraisemblance caricaturale, constituerait une désopilante pantalonnade.

Pour en faire un opéra réussi – le chef-d’œuvre de Mozart, dit-on – de trois heures vingt, il fallait bien sûr la musique puissante et entraînante de ce virtuose de génie.

C’est elle qui donne de la consistance à une trame aussi ténue, drape de gravité la désillusion amoureuse et fait d’un dramma giocoso (drame joyeux) une fable philosophique.

Dans le spectacle donné actuellement à la Maison des Arts de Créteil, les musiciens de l’Orchestre-Atelier Ostinato font jaillir de leurs violons, altos, violoncelles, contrebasses, flûtes, hautbois, clarinettes, bassons, corps, trompettes, timbales et pianoforte, la puissance bouleversante qui laisse entrevoir la gravité du propos sous son apparente légèreté.

Le Chœur de Chambre de la Maîtrise des Hauts-de-Seine contribue à faire de cet opéra un grand moment musical.

Quant aux solistes de l’Atelier lyrique de l’Opéra national de Paris, bien que débutants, ils maîtrisent à la perfection les nombreux duos, trios, quatuors et sextuors qui émaillent Così Fan Tutte, faisant preuve d’un professionnalisme qui augure des carrières prometteuses.

Or, si la musique est bien le protagoniste principal – ce qui n’a rien d’étonnant s’agissant d’un opéra – c’est à la mise en scène que revient le rôle de donner une cohérence à l’ensemble et d’habiller la farce de façon à tenir les spectateurs en haleine trois heures durant.

Celle de Dominique Pitoiset a pris le parti-pris de la transposition moderne

Un choix tout à fait acceptable, qu’on y adhère ou non.

Cependant, au début, sa mise en scène ne facilite guère la compréhension.

L’opéra s’ouvre sur un plateau où pratiquement tous les éléments des décors des différentes scènes sont déjà en place, brouillant les repères, et au milieu duquel évoluent, un verre à la main, d’élégants personnages qui finissent par se rassembler pour une photo de groupe.

Qui sont-ils, que font-ils ? Sommes-nous dans l’univers de la mode, comme le laisseraient supposer les nombreux portants garnis de vêtements au fond de la scène, côté cour, et au sein d’une réception mondaine dont ce milieu est si friand ?

Ces portants sont-ils les symboles des déguisements et supercheries qui font la trame de Così Fan Tutte ? Ce qui expliquerait qu’au moment du dénouement, une fois la mystification dévoilée, ils sont recouverts de housses ?

Toujours côté cour mais plus en avant, des chaises, ainsi qu’une table garnie d’accessoires divers, font office de boudoir, puis de réduit où Despina, la femme de chambre, ira se travestir.

Côté jardin, un distributeur de boissons figure le café où Don Alfonso, Ferrando et Guglielmo échangent leurs vues sur l’amour et les femmes dans la première scène du livret.

Dans l’esprit du spectateur, les choses commencent à se faire plus claires…

Un autre parti-pris du metteur en scène est d’avoir accentué le côté trivial et grivois de cette comédie burlesque, notamment lors du jeu de séduction des deux fiancés travestis, jeu qui n’a rien de la cour délicate et raffinée d’un gentilhomme et tout d’un grossier rentre-dedans (pardon my French).

Ainsi, pour « emballer » sans perdre de temps en « déballant la marchandise », Guglielmo se lance-t-il dans un strip-tease cocasse, se déchaussant, retirant prestement sa ceinture, se dénudant partiellement et envoyant valser ses chaussettes avec désinvolture !

Trop poussé ? Trop vulgaire ? Trop grivois ? Trop ridicule ?

C’est ce qu’on pourrait penser dans un premier temps.

Or les paroles du livret ne font pas dans la dentelle !

Regardez, touchez, considérez le tout ;
nous sommes deux braves fous,
nous sommes forts et bien faits,
et comme on peut le voir, que ce soit mérité ou pur hasard,
nous avons bon pied, bon œil, bon nez...
Regardez ce beau pied,
considérez ce bel œil,
touchez ce beau nez,
considérez le tout ;
quant à ces moustaches, on pourrait dire qu’elles sont
le triomphe de la virilité, les plumes de l’amour.

Un choix justifié, donc, et particulièrement heureux.

Un résultat moins heureux, en revanche, pour ce qui est de la direction d’acteurs.

Que ces derniers se meuvent avec un manque d’aisance flagrant, cela se comprend, leur inexpérience en la matière les excuse et leur virtuosité vocale comble largement leurs failles théâtrales.

Mais que leur jeu sonne souvent faux, avec des gestes inadaptés, caricaturaux et répétitifs, est de la responsabilité de celui qui les dirige.

Ainsi cette façon récurrente qu’ont les deux sœurs d’attraper leurs fiancés par le collet ou de les tirer par la cravate a quelque chose de particulièrement irritant.

Pour ce qui est des costumes, modernes, comme le décor, on ne peut qu’être charmé par la grâce et la simplicité de la petite robe blanche qui dessine si joliment la gracieuse silhouette de Ruzan Mantashyan (Fiordiligi).

Symbole d’une certaine forme de pureté pour celle des deux fiancées qui résiste le plus longtemps à la tentation et ne s’abandonne que dans une douloureuse sédition, alors que Gemma Ní Bhriain, la sœur plus volage, dont la constance a rapidement volé en éclats, est vêtue de blanc et noir ?

Parfois, tout est question d’interprétation…

En conclusion, on pourrait dire que Dominique Pitoiset a fait de cette École des Amants (le complément de titre de Così Fan Tutte) une école de perfectionnement qui donne « à de jeunes chanteurs en début de carrière et à des pianistes se préparant à la profession de chefs de chant les meilleurs atouts pour réussir dans la vie professionnelle », ce qui est précisément le but de l’Atelier Lyrique de l'Opéra de Paris.

Il en a fait également, en dépit des réserves énoncées et de l’impression que les choses traînent parfois trop en longueur, un spectacle de qualité.

Élishéva Zonabend

 

 

Così Fan Tutte

Opera buffa en deux actes (en langue italienne avec surtitres en français)
Atelier lyrique : 
Direction : Christian Schirm
Musique : Wolfgang Amadeus Mozart
Livret : Lorenzo Da Ponte
Nouvelle production :
Direction musicale : Jean-François Verdier,
Mise en scène et scénographie : Dominique Pitoiset
Collaboration à la mise en scène : Stephen Taylor
Costumes : Axel Aust
Lumières : Christophe Pitoiset
Assistant à la direction musicale : Jorge Giménez
Assistant à la mise en scène : Stephane Resche
Assistante costumes : Camille Penager
Diction lyrique italienne : Muriel Corradini

Solistes de l’Atelier Lyrique de l’Opéra national de Paris Orchestre-Atelier Ostinato, en alternance :
Ruzan Mantashyan/Olga Seliverstova ; Gemma NíBhriain/Andrea Hill ; Adriana Gonzales /Armelle Khourdoïan ; Oleksiy Palchykov/Yu Shao ; Tomasz Kumiega/Piotr Kumon ; Andriy Gratiuk/Petro Di Bianco 

Chœur de Chambre de la Maîtrise des Hauts-de-Seine

 

Mis en ligne le 22 juin 2015

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